mars 2020 - Page 4 sur 36 - Journal du niger

La guerre en Syrie: une tragédie humaine

Plus de 380.000 morts, plus de la moitié de la population déracinée et un pays en ruines: déclenchée en mars 2011, la révolte contre le pouvoir en Syrie s’est muée en une guerre dévastatrice, impliquant groupes rebelles, mouvements jihadistes et puissances étrangères.

– Morts –

Plus de 380.000 personnes ont péri depuis le début de la guerre, selon un bilan donné début janvier 2020 par l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).

Parmi elles, plus de 115.000 civils, dont 22.000 enfants et 13.612 femmes, d’après l’ONG, qui dispose d’un vaste réseau d’informateurs à travers la Syrie.

– Handicapés –

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la crise syrienne représente l’une des situations d’urgence les plus graves et les plus complexes au monde, le conflit ayant considérablement affaibli le système de santé.

Dans certaines régions, les taux de handicap atteignent 30% de la population, soit le double de la moyenne mondiale (chiffres de mars 2019).

Au moins 45% des personnes blessées devraient vivre avec un handicap permanent nécessitant des soins spécialisés longtemps après la fin des hostilités.

– Déplacés, réfugiés –

La guerre a entraîné la plus grande vague de déplacements depuis la seconde guerre mondiale.

Plus de la moitié de la population d’avant-guerre a été déplacée à l’intérieur du pays ou a été contrainte de fuir à l’étranger. Selon l’ONU, le nombre de réfugiés s’élève à 5,5 millions et le nombre de déplacés internes à plus de 6 millions (février 2020).

La Turquie accueille sur son territoire le plus grand nombre de Syriens, soit 3,6 millions.

Et elle redoute un nouvel afflux de réfugiés, alors que depuis le début de l’offensive du régime syrien dans la région d’Idleb en décembre, près d’un million de personnes ont été déplacées, en grande majorité à sa frontière.

Le Liban dit héberger 1,5 million de Syriens (pour une population totale de 4,5 millions), dont moins d’un million sont inscrits auprès du Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR). La plupart vivent dans la précarité.

En Jordanie, plus de 650.000 Syriens sont enregistrés auprès du HCR. Amman affirme avoir accueilli environ 1,3 million de réfugiés. Suivent l’Irak (300.000 réfugiés syriens, dont la majorité kurdes) et l’Egypte (plus de 130.000 Syriens).

Des centaines de milliers de Syriens ont aussi afflué en Europe, notamment en Allemagne, où ils sont les principaux demandeurs d’asile.

– Emprisonnés, torturés –

Le régime a été accusé d’atteintes aux droits humains depuis le début du conflit et mis en cause pour de multiples cas de tortures, viols et exécutions sommaires.

Selon l’OSDH, au moins 60.000 personnes sont mortes sous la torture ou à cause des terribles conditions de détention dans les prisons. Un demi-million de personnes sont passées dans les geôles du pouvoir depuis 2011, d’après l’Observatoire.

En 2014, un ancien photographe de la police militaire syrienne, exfiltré sous le pseudonyme de « César », a révélé des photographies de corps torturés et suppliciés dans les prisons du régime entre 2011 et 2013. Il s’est enfui en 2013, en emportant 55.000 photographies effroyables.

En février 2017, Amnesty International a accusé le régime d’avoir pendu quelque 13.000 personnes entre 2011 et 2015 dans la prison de Saydnaya près de Damas.

Par ailleurs, « plusieurs milliers » de personnes ont péri dans les prisons de groupes rebelles et jihadistes (OSDH).

– Appauvris –

L’économie est dévastée par neuf ans de guerre.

Chômage, coupures de courant, pénuries de gaz domestique, 83% de la population vit aujourd’hui sous le seuil de la pauvreté, contre 28% avant la guerre, selon l’ONU. Et 80% des ménages peinent à assurer leurs besoins alimentaires de base, selon le Programme alimentaire mondial (Pam).

Le secteur pétrolier et gazier a subi depuis 2011 des pertes estimées par les autorités à 74 milliards de dollars.

Le coût des destructions dues à la guerre a été estimé par l’ONU à plus de 400 milliards de dollars. Des localités et des villes entières ne sont plus que des champs de ruines.

Et pour l’ONU, la situation dans la région d’Idleb représente « la plus grosse crise aujourd’hui dans le monde ».

Neuf ans de conflit en Syrie

Les étapes-clés de la guerre en Syrie qui a impliqué de multiples acteurs régionaux et internationaux et fait, depuis mars 2011, plus de 380.000 morts et des millions de réfugiés et déplacés.

– Révolte et répression –

Le 15 mars 2011, dans le sillage du Printemps arabe, un mouvement de protestation éclate en Syrie, gouvernée d’une main de fer depuis 40 ans par la famille Assad, Bachar ayant succédé en 2000 à son père Hafez.

De petites manifestations ont lieu à Damas et sont violemment dispersées. Mais c’est à Deraa (sud), où une quinzaine d’adolescents avaient été torturés peu auparavant pour avoir peint des graffitis antirégime, que le mouvement prend de l’ampleur.

Les manifestations, qui s’étendent à d’autres villes, sont réprimées.

En juillet, un colonel réfugié en Turquie crée l’Armée syrienne libre (ASL), composée de civils ayant pris les armes et de déserteurs de l’armée.

Le mouvement d’opposition se transforme en rébellion armée. Les rebelles vont conquérir d’importants bastions, notamment des secteurs de Homs (centre) ou des quartiers d’Alep (nord).

– L’aviation, atout du régime –

En mars 2012, l’armée prend le fief de la rébellion à Homs. D’autres opérations sanglantes avaient été menées, notamment à Hama (centre), après d’immenses manifestations antirégime.

En juillet, des rebelles lancent la bataille de Damas. Le gouvernement garde le contrôle de la capitale, mais des zones de sa banlieue passent aux mains des insurgés.

L’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH) et des militants dénoncent l’utilisation de « barils d’explosifs » remplis de TNT que l’armée largue à partir d’hélicoptères et d’avions militaires.

– Hezbollah, Iran –

Le mouvement chiite libanais Hezbollah reconnaît en avril 2013 son engagement aux côtés de Bachar al-Assad, issu de la minorité alaouite, une branche du chiisme. Il va envoyer des milliers de combattants.

L’Iran chiite soutient financièrement et militairement le régime en envoyant des « conseillers militaires » et des « volontaires » venus d’Iran, d’Afghanistan ou du Pakistan.

– Recul américain –

En août 2013, une attaque chimique imputée au régime dans deux zones rebelles près de Damas fait plus de 1.400 morts selon les Etats-Unis. Le régime dément.

Barack Obama, qui en avait fait une ligne rouge, renonce au dernier moment à procéder à des frappes punitives, scellant avec la Russie un accord de démantèlement de l’arsenal chimique syrien.

– Jihadistes –

En juin 2014, le groupe Etat islamique (EI) proclame un « califat » sur de vastes territoires conquis en Syrie et en Irak.

En septembre, une coalition internationale dirigée par Washington lance, après l’Irak, ses premières frappes contre l’EI en Syrie.

Les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG) et soutenues par la coalition, vont chasser l’EI de son fief à Raqa, puis s’emparer en mars 2019 de son ultime bastion syrien, Baghouz.

Le chef de l’EI Abou Bakr al-Baghdadi a été tué en 2019 lors d’un assaut américain dans le nord-ouest syrien.

– Poutine au secours d’Assad –

En septembre 2015, Moscou, principal allié de Damas, entame une campagne de frappes aériennes en soutien aux troupes du régime, en grande difficulté.

L’intervention de Moscou est un tournant qui va remettre en selle le régime. La rébellion subit revers après revers et sera chassée notamment d’Alep fin 2016, puis de la Ghouta orientale, près de Damas, en 2018, au prix de bombardements meurtriers et de destructions massives.

– Attaques chimiques –

En avril 2017, une attaque au gaz sarin, imputée au régime, tue plus de 80 civils à Khan Cheikhoun (province d’Idleb).

En représailles, Donald Trump ordonne des frappes sur la base aérienne d’Al-Chaayrate (centre).

En avril 2018, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni mènent des frappes conjointes de représailles contre des positions militaires du régime en réaction à une attaque chimique à Douma, près de Damas.

– Nouvelle opération turque –

Le 9 octobre 2019, la Turquie, qui a déjà mené deux opérations dans le nord syrien depuis 2016, et des supplétifs syriens lancent, à la faveur d’un retrait américain, une offensive aérienne et terrestre pour éloigner de la frontière la milice des YPG.

L’opération permet à la Turquie de prendre le contrôle à sa frontière d’une bande de territoire syrien de 120 kilomètres de longueur et d’une trentaine de kilomètres de profondeur.

– Bataille d’Idleb –

En décembre 2019, le pouvoir, appuyé par son allié russe, lance une nouvelle offensive dans le nord-ouest contre l’ultime grand bastion des jihadistes et des rebelles.

Les violences ont provoqué une catastrophe humanitaire, avec près d’un million de déplacés et de lourdes pertes pour la Turquie, parrain de groupes rebelles.

A Dakar, un rêve de Central park pour faire reculer le béton

Et si la vaste étendue de l’ancien aéroport international de Dakar devenait le grand parc qui ferait respirer cette métropole hyper-urbanisée d’Afrique de l’Ouest ? Un jeune Franco-Sénégalais en rêve.

Mamadou Sakho, 34 ans, a lancé en janvier une pétition pour transformer l’aéroport Léopold-Sédar-Senghor en un Central Park local où les Dakarois viendraient s’oxygéner.

Un projet à la fois personnel, citoyen et entrepreneurial. Il a touché une corde sensible chez bien des Dakarois mais devra surmonter des intérêts contraires: ceux de l’armée, qui occupe les lieux reconvertis en aérodrome militaire, et ceux de la promotion immobilière, qui capitalise sur l’explosion démographique dakaroise et ne manquerait pas de convoiter une telle manne foncière si elle se libérait.

L’initiative paraît illusoire. Pas de quoi décourager Mamadou Sakho pour autant.

« Ce qui me motive, c’est d’être un leader du changement et de créer une dynamique notamment auprès des jeunes », explique ce diplômé en marketing gestion des entreprises, créateur d’une société travaillant dans les espaces verts et la sensibilisation à l’environnement.

Début mars, sa pétition avait recueilli près de 20.500 signatures.

Vue du ciel, la presqu’île de Dakar, à la pointe occidentale de l’Afrique, est une mosaïque de rues et de bâtiments où dominent les couleurs grise et sable. Les rares portions inexploitées dans cette région autrefois appelée Cap-Vert en raison de sa luxuriante végétation sont prises d’assaut par les promoteurs immobiliers ou par l’Etat.

– Choc du retour –

De moins d’un million en 1976, la population de Dakar est passée à 3,5 millions en 2017 et devrait dépasser les 4,3 millions en 2025, selon l’Agence nationale de la statistique.

Mamadou Sakho, né en France, chérit le souvenir de la partie de son enfance qu’il a passée sur les plages dakaroises, au bord de l’Atlantique.

« Après quelques années à l’étranger, quand je suis revenu, je n’ai pas reconnu Dakar. On n’avait plus accès à la mer. La ville était polluée. Je n’avais plus cette sensation de la nature, ni des odeurs, ni des paysages », se désole-t-il.

Le constat a guidé son engagement environnemental et, récemment, le projet de végétaliser les pistes de Senghor.

Sur les images satellitaires, les trois pistes de l’aéroport Senghor et de leurs aires de dégagement, dans le quartier de Yoff, dessinent un ample « H » vert, rare exception dans la grisaille avec le parc forestier du quartier de Hann.

Ces 600 hectares sont sous-utilisés depuis l’ouverture de l’aéroport international Blaise-Diagne fin 2017 à une cinquantaine de kilomètres de la capitale. Ils n’accueillent plus que des vols militaires et de rares délégations officielles.

Mamadou Sakho s’est emparé de l’idée de parc avancée par certains Dakarois sur les réseaux sociaux, même si rien n’indique une volonté des autorités de changer l’affectation de la plate-forme.

– La voix de Kennedy –

« Cet aéroport a été confié par l’Etat à l’armée. Nous ne pouvons pas nous prononcer sur une pétition dont nous ne sommes pas informés », a indiqué à l’AFP le porte-parole des armées, le colonel Mactar Diop.

Mamadou Sakho peut se prévaloir de signaux encourageants émis par la municipalité. La maire Soham El Wardini, fervent soutien, a assisté fin février, avec des entrepreneurs, des officiels, des jeunes, à la projection du film qu’il a réalisé pour appuyer son projet.

« Si nous parvenions à avoir ce lieu et à en faire un parc de loisirs, de détente, ce serait formidable », assure Bamba Ngom, chef de la division des espaces verts à la mairie. La municipalité est prête à accompagner l’initiative, promet-il.

Ibrahima Mbengue, habitant du quartier de Ouakam, proche de l’aéroport, adhère « totalement ». « Dakar est devenu si étroit qu’il n’y a plus d’endroit où se promener, la ville n’a plus d’espace vert et même les trottoirs sont occupés. Un parc naturel serait le bienvenu », estime le jeune homme de 27 ans.

D’autres sont sceptiques. Malick Ka, la cinquantaine, cultive la nostalgie des années fastes, quand l’aéroport Senghor faisait vivre le voisinage. « Depuis la transformation en aérodrome militaire, tous les quartiers à proximité sont morts », regrette-t-il. Et puis « avec quelle eau va-t-on arroser les plantes de ce parc naturel ? Une bonne partie de la population a déjà du mal à accéder à l’eau potable ».

Mamadou Sakho, lui, entend « servir la communauté » et cite l’ancien président américain John F. Kennedy sur la nécessité de se demander ce qu’on peut faire pour son pays.

« Moi, je suis jeune, j’ai des idées, j’ai fait des études. Je me suis engagé parce que je veux du changement et les changements commencent par nous-mêmes ».

En Indonésie, le « mariage sans contact » est tendance chez les jeunes

Après plusieurs ruptures, Dwita Astari Pujiartati a renoncé aux relations amoureuses sans lendemain et décidé de passer directement de la case rencontre à distance au mariage. Une tendance en hausse chez les célibataires d’Indonésie attirés par un islam plus conservateur.

L’enseignante de 27 ans a échangé des CV avec plusieurs prétendants, aidée par un imam servant d’entremetteur, jusqu’au jour où elle a été contactée par un ami perdu de vue.

Pas de rendez-vous romantique ou de baisers. Pendant près d’un an, le couple a gardé ses distances, ne se parlant que par téléphone.

« Après avoir ressenti le déclic, (celui qui est mon mari à présent) s’est adressé à mes parents pour pouvoir me demander en mariage », a expliqué la jeune femme.

Cette pratique, connue en Indonésie sous le nom arabe de « taaruf », ou « présentation », peut sembler surannée et mieux adaptée aux pays conservateurs du Golfe qu’à une société plus libérale comme l’Indonésie.

Mais pour Dwita Astari Pujiartati, c’était un moyen pour abandonner les relations de courte durée et se comporter en musulmane pieuse, en évitant caresses et sexe avant le mariage.

« Pourquoi choisir quelque chose qui me fait perdre mon temps et déplaît à Dieu? », demande-t-elle.

Si le « taaruf » est encore marginal en Indonésie, la jeune femme est loin d’être la seule à avoir choisi cette voie.

Le mouvement « Indonesia Tanpa Pacaran » (L’Indonésie sans flirt) se développe dans ce pays d’Asie du Sud-Est où les jeunes nés dans les années 1990 forment plus d’un quart de la population de 260 millions d’habitants.

– Rupture par téléphone –

Encourageant les jeunes à ne pas tarder à se marier, il recommande que toute rencontre avant une union se fasse avec un chaperon, et considère les relations amoureuses pré-maritales comme une perversion occidentale.

Dwita Astari Pujiartati a pris du temps pour mieux connaître son mari à distance, mais beaucoup de jeunes dans cette mouvance se marient au bout de quelques mois.

Le mouvement a été lancé vers 2015 par La Ode Munafar. Ce leader de 29 ans a organisé récemment des sessions de « ruptures collectives » pour des couples qui se fréquentaient sans être mariés dans la ville de Kendari, sur l’île de Célèbes.

Sur scène, un jeune homme a rompu par téléphone avec sa petite amie, sous les applaudissements et les encouragements de plusieurs dizaines de personnes.

« J’ai étudié les relations hors mariage d’un point de vue scientifique et psychologique. Et c’est néfaste à tous points de vue », a-t-il expliqué après l’évènement.

– Bonheur conjugal sur Instagram –

Des histoires de mariages heureux après une relation à distance pullulent sur les réseaux sociaux.

Celui de Muhammad Alvin Faiz, le fils d’un religieux pro-polygamie, avec sa jeune femme de 19 ans, Larissa Chou, une catholique convertie à l’islam, est cité en exemple.

Le jeune homme tient en haleine 1,4 million d’abonnés sur Instagram avec des clichés de son bonheur conjugal.

Dans ce pays qui compte la plus importante population musulmane au monde, l’islam conservateur est en progression depuis la chute du dictateur Suharto en 1998 qui était plus répressif envers la religion.

« Cette ère de démocratie a ouvert un espace pour l’expression religieuse », note Sidiq Harim, sociologue de l’université Gadjah Mada. La piété devient publique et « le taaruf est l’une de ses formes ».

De nombreuses stars indonésiennes ont annoncé leur conversion à un mode de vie plus pieux.

– Piété publique –

Les promoteurs du taaruf avancent que cette pratique donne plus de liberté aux femmes pour choisir leur partenaire et que cela leur permet de se passer de la bénédiction familiale, à l’inverse des mariages arrangés.

Mais pour les détracteurs, ces mariages sont risqués, surtout pour les femmes.

« J’ai entendu beaucoup d’histoires d’abus par des conjoints », avertit Kalis Mardiasih, une activiste féministe musulmane.

« Ca peut arriver aussi dans d’autres types de relations. Mais il est essentiel de pouvoir évaluer l’attitude de quelqu’un aussi tôt que possible pour voir à quel genre de personne on a affaire ».

Et si cette pratique est devenue tendance, tous les Indonésiens ne sont pas convaincus.

« Je ne suis pas d’accord avec cette histoire de mariage rapide », remarque Azara Mahdaniar, une femme de 25 ans. « Il ne faut pas s’engager et se rendre compte plus tard que son partenaire est violent ».

La chute de l’Emir de Kano: symbole de la toute-puissance des politiques sur le pouvoir traditionnel

Un Emir « bavard comme une pie », délogé de son palais par des services de renseignement en armes, puis « banni » hors des frontières de son royaume: cela pourrait être l’intrigue d’une tragédie de Shakespeare. Mais la scène a bel et bien eu lieu lundi dans le nord du Nigeria.

Muhammadu Sanusi II, 58 ans, était une des plus grandes figures du pouvoir traditionnel au Nigeria, et son influence s’exerçait sur un vaste territoire de 10 millions de personnes dans le nord musulman.

Mais il a été « détrôné » manu militari lundi après un vote du Parlement de l’Etat de Kano, avec « effet immédiat » et délogé en hélicoptère.

La scène, aussi rare qu’inattendue, témoigne des inimitiés entre deux pouvoirs: le pouvoir traditionnel, religieux et millénaire, quasiment divin diront certains, et le pouvoir politique, moderne et mortel, fait d’alliances et de coups bas.

Depuis la colonisation britannique, qui a relégué les leaders traditionnels à un rôle honorifique au profit d’un système démocratique, les deux pouvoirs travaillent plus ou moins en accord, l’un n’empiétant pas sur la chose publique, et l’autre ne s’immisçant pas dans les affaires du religieux.

Mais depuis que Lamido Sanusi a remplacé son grand-oncle sur le trône en 2014, il n’a pas hésité à brouiller les cartes et à donner son avis négatif sur la gestion de l’Etat de Kano, voire sur les politiques économiques du pays.

Ancien banquier, il a été gouverneur de la Banque centrale du Nigeria avant d’accéder au trône, et n’a pas hésité, à cette fonction très exposée, à dénoncer des détournements massifs.

Cela lui avait déjà valu sa place, sous le gouvernement de Goodluck Jonathan, qui l’a presque aussitôt renvoyé. Mais, même en tant qu’Emir, Sanusi II n’a pas perdu son « amour pour la controverse ».

« Ce n’est un secret pour personne que nombre de nos hommes politiques sont ineptes et peu éduqués », écrit-il en 2017. « Les Nigérians le savent et attendent peu de leurs leaders », avait alors déclaré l’Emir.

– « Trop c’est trop » –

C’était oublier que les salaires des chefs traditionnels, et pour certains leur succession, n’est pas de l’ordre du divin, mais bien entre les mains des politiciens locaux.

Sanusi II s’est mis à dos l’homme le plus important de l’Etat de Kano, le gouverneur Abdullahi Ganduje, qui lui reproche d’avoir soutenu en sous-main le candidat de l’opposition aux dernières élections de 2019.

Il a depuis tout essayé pour affaiblir son rôle et ternir son image.

Il a divisé son Émirat en quatre territoires et la police anti-corruption a multiplié les enquêtes contre la figure royale.

Son excommunion lundi pour « irrespect » et « insubordination » a été le geste ultime d’une guerre ouverte entre les deux hommes. Une guerre que le pouvoir coutumier ne semble plus être en mesure de gagner.

« Le gouverneur a décidé que c’en était trop », remarque Adewunmi Falode, professeur d’histoire à l’Université de Lagos. « C’est le signal que le vrai pouvoir reste entre les mains du gouvernement », argue le spécialiste.

Ses prédécesseurs avaient pu compter sur le soutien populaire en de pareilles circonstances. En 1963, des milliers de personnes avaient protesté contre le renvoi de l’émir de l’époque (le grand-père de Sanusi II) par les autorités, puis en 1981, les manifestations avaient tourné au bain de sang lorsque le gouvernement avait tenté de détrôner Ado Bayero, son grand-oncle.

– Aura mystique –

Mais cette fois, les rues de Kano, capitale millénaire de l’Émirat, sont restés imperturbables, beaucoup ne se retrouvant pas dans ce chef moderne et très « occidentalisé ».

Les chefs religieux, particulièrement conservateurs et rigoristes dans cette région du Nord musulman, lui ont tourné le dos, lui reprochant ses critiques ouvertes et répétées contre l’influence de l’Arabie saoudite au Nigeria, jugeant les courants wahhabites et salafistes « intolérants ».

Son franc-parler, dont il s’est souvent targué, lui a aujourd’hui coûté sa place.

« Par tradition, l’Emir ne doit être ni vu ni entendu », confie un membre de sa Cour à l’AFP.

« Mais Sanusi n’a pas respecté cette tradition, s’exprimant sur tout et sur rien, bavard comme une pie (…) cela a affaibli l’aura mystique et le prestige qui doit régner autour de sa personne », poursuit-il.

« Il a détruit des murs de 500 ans d’âge pour les remplacer par des matériaux modernes et maintenant le palais ressemble à Buckingham Palace ».

Lamido Sanusi, qui reste toutefois très apprécié dans le reste du pays depuis son passage à la Banque Centrale, pourrait toutefois tirer partie de ce « détrônement », pour enfin s’exprimer autant qu’il le souhaite et faire une carrière politique.

« Quittez cette institution mourante où un homme qui sait à peine lire et écrire peut vous réduire au silence, et hissez vous à une place où vous pourrez avoir un impact global sur la société », résume le célèbre écrivain et avocat nigérian Elnathan John.

abu-joa-del-spb/jpc/jhd

La chute de l’Emir de Kano: symbole de la toute-puissance des politiques sur le pouvoir traditionnel

Un Emir « bavard comme une pie », délogé de son palais par des services de renseignement en armes, puis « banni » hors des frontières de son royaume: cela pourrait être l’intrigue d’une tragédie de Shakespeare. Mais la scène a bel et bien eu lieu lundi dans le nord du Nigeria.

Muhammadu Sanusi II, 58 ans, était une des plus grandes figures du pouvoir traditionnel au Nigeria, et son influence s’exerçait sur un vaste territoire de 10 millions de personnes dans le nord musulman.

Mais il a été « détrôné » manu militari lundi après un vote du Parlement de l’Etat de Kano, avec « effet immédiat » et délogé en hélicoptère.

La scène, aussi rare qu’inattendue, témoigne des inimitiés entre deux pouvoirs: le pouvoir traditionnel, religieux et millénaire, quasiment divin diront certains, et le pouvoir politique, moderne et mortel, fait d’alliances et de coups bas.

Depuis la colonisation britannique, qui a relégué les leaders traditionnels à un rôle honorifique au profit d’un système démocratique, les deux pouvoirs travaillent plus ou moins en accord, l’un n’empiétant pas sur la chose publique, et l’autre ne s’immisçant pas dans les affaires du religieux.

Mais depuis que Lamido Sanusi a remplacé son grand-oncle sur le trône en 2014, il n’a pas hésité à brouiller les cartes et à donner son avis négatif sur la gestion de l’Etat de Kano, voire sur les politiques économiques du pays.

Ancien banquier, il a été gouverneur de la Banque centrale du Nigeria avant d’accéder au trône, et n’a pas hésité, à cette fonction très exposée, à dénoncer des détournements massifs.

Cela lui avait déjà valu sa place, sous le gouvernement de Goodluck Jonathan, qui l’a presque aussitôt renvoyé. Mais, même en tant qu’Emir, Sanusi II n’a pas perdu son « amour pour la controverse ».

« Ce n’est un secret pour personne que nombre de nos hommes politiques sont ineptes et peu éduqués », écrit-il en 2017. « Les Nigérians le savent et attendent peu de leurs leaders », avait alors déclaré l’Emir.

– « Trop c’est trop » –

C’était oublier que les salaires des chefs traditionnels, et pour certains leur succession, n’est pas de l’ordre du divin, mais bien entre les mains des politiciens locaux.

Sanusi II s’est mis à dos l’homme le plus important de l’Etat de Kano, le gouverneur Abdullahi Ganduje, qui lui reproche d’avoir soutenu en sous-main le candidat de l’opposition aux dernières élections de 2019.

Il a depuis tout essayé pour affaiblir son rôle et ternir son image.

Il a divisé son Émirat en quatre territoires et la police anti-corruption a multiplié les enquêtes contre la figure royale.

Son excommunion lundi pour « irrespect » et « insubordination » a été le geste ultime d’une guerre ouverte entre les deux hommes. Une guerre que le pouvoir coutumier ne semble plus être en mesure de gagner.

« Le gouverneur a décidé que c’en était trop », remarque Adewunmi Falode, professeur d’histoire à l’Université de Lagos. « C’est le signal que le vrai pouvoir reste entre les mains du gouvernement », argue le spécialiste.

Ses prédécesseurs avaient pu compter sur le soutien populaire en de pareilles circonstances. En 1963, des milliers de personnes avaient protesté contre le renvoi de l’émir de l’époque (le grand-père de Sanusi II) par les autorités, puis en 1981, les manifestations avaient tourné au bain de sang lorsque le gouvernement avait tenté de détrôner Ado Bayero, son grand-oncle.

– Aura mystique –

Mais cette fois, les rues de Kano, capitale millénaire de l’Émirat, sont restés imperturbables, beaucoup ne se retrouvant pas dans ce chef moderne et très « occidentalisé ».

Les chefs religieux, particulièrement conservateurs et rigoristes dans cette région du Nord musulman, lui ont tourné le dos, lui reprochant ses critiques ouvertes et répétées contre l’influence de l’Arabie saoudite au Nigeria, jugeant les courants wahhabites et salafistes « intolérants ».

Son franc-parler, dont il s’est souvent targué, lui a aujourd’hui coûté sa place.

« Par tradition, l’Emir ne doit être ni vu ni entendu », confie un membre de sa Cour à l’AFP.

« Mais Sanusi n’a pas respecté cette tradition, s’exprimant sur tout et sur rien, bavard comme une pie (…) cela a affaibli l’aura mystique et le prestige qui doit régner autour de sa personne », poursuit-il.

« Il a détruit des murs de 500 ans d’âge pour les remplacer par des matériaux modernes et maintenant le palais ressemble à Buckingham Palace ».

Lamido Sanusi, qui reste toutefois très apprécié dans le reste du pays depuis son passage à la Banque Centrale, pourrait toutefois tirer partie de ce « détrônement », pour enfin s’exprimer autant qu’il le souhaite et faire une carrière politique.

« Quittez cette institution mourante où un homme qui sait à peine lire et écrire peut vous réduire au silence, et hissez vous à une place où vous pourrez avoir un impact global sur la société », résume le célèbre écrivain et avocat nigérian Elnathan John.

abu-joa-del-spb/jpc/jhd

La BCE prête à sortir l’arsenal monétaire face au coronavirus

Seule grande banque centrale à n’avoir pas encore réagi à l’épidémie de coronavirus, la Banque centrale européenne devrait sortir jeudi un nouvel arsenal monétaire face à cette menace aussi inédite que difficile à évaluer.

« Chacun espère que la banque centrale ramènera le calme », alors que la panique des marchés a atteint des niveaux rappelant la crise financière de 2008-2009, souligne Bruno Cavalier, économiste chez Oddo Seydler.

En perturbant la vie quotidienne et l’économie avant de se muer « en choc financier majeur », aux conséquences imprévisibles, cette épidémie constitue « le premier vrai test pour Christine Lagarde », aux manettes de la depuis novembre, observe M. Cavalier.

D’autant que la Réserve fédérale américaine a baissé ses taux de 0,5 point dès le 3 mars, sans attendre sa réunion mi-mars ni une quelconque action coordonnée. Et qu’elle a été imitée mercredi par la Banque d’Angleterre.

Si les banquiers centraux avaient répondu de concert à la crise des « subprime », à l’été 2008, cette fois chacun a agi « dans son coin » et mis les autres « sous pression, voire en difficulté », estime Eric Dor, directeur de recherche à l’Institut d’économie scientifique et de gestion (IESEG).

– Prêts aux PME –

Ainsi, la Fed n’a guère apaisé les marchés et a de surcroît renchéri l’euro face au dollar. Cela complique la tâche de la BCE: un euro fort nuit à la compétitivité de la zone euro et réduit les pressions inflationnistes. Or l’institut est depuis 2013 en-dessous de son objectif, soit une inflation tendant vers 2%.

Personne ne doute donc que la BCE délivre jeudi son ordonnance anti-coronavirus, malgré des marges de manœuvre réduites puisque son principal taux, permettant aux banques de se refinancer, est déjà à zéro depuis 2016.

Dans un communiqué laconique la semaine dernière, l’institution a promis des mesures « appropriées », et surtout « ciblées », face à l’épidémie.

Jeudi, elle pourrait donc innover avec un programme de prêts bancaires ciblant les PME en difficulté, pour aider les entreprises perturbées par l’épidémie à boucler leurs fins de mois, indique à l’AFP une source proche de la BCE.

Côté taux, l’institut pourrait descendre à -0,60%, contre -0,50% jusque-là, celui appliqué aux liquidités que les banques laissent à la banque centrale au lieu de les prêter aux ménages et aux entreprises.

Destinée à stimuler l’offre de crédits, cette politique de taux bas vaut déjà à la BCE de vives critiques, en particulier en Allemagne, où on l’accuse de spolier les épargnants.

Autre piste: augmenter le rythme des rachats de dette sur le marché, réactivés depuis novembre 2019 à raison de 20 milliards d’euros par mois, « aussi longtemps que nécessaire ».

– Aux Etats d’agir –

Mais pour que la politique monétaire ne soit pas seule à la manœuvre, Mme Lagarde a interpellé mardi les chefs de gouvernement européens en faisant « référence à (la crise financière de) 2008 » lors d’une conférence téléphonique, a indiqué à l’AFP une source européenne.

Elle souhaitait mettre les décideurs devant leurs responsabilités, quand bien même les effets du virus sur l’économie restent « très difficiles à prévoir », a ajouté Mme Lagarde, selon la même source.

L’Allemagne, déjà critiquée par la BCE pour sa réticence à recourir à la dépense publique, a cette fois promis de faire « ce qui est nécessaire », a indiqué mercredi la chancelière, Angela Merkel, quitte à revenir sur son dogme du zéro déficit.

Pays européen le plus touché par l’épidémie du Covid-19, alors même qu’elle est déjà fragilisée par son énorme dette publique, l’Italie a débloqué mercredi une enveloppe d’aides de 25 milliards d’euros.

Enfin, l’UE a fait miroiter mardi un « fonds d’investissement en réponse » à l’épidémie allant jusqu’à 25 milliards d’euros. Le lendemain, elle précisait cependant qu’il s’agirait d’enveloppes déjà existantes.

Quant aux mesures attendues jeudi de la BCE, elles peuvent au moins « contribuer à stopper la déroute des marchés », souligne Florian Hense, économiste chez Berenberg. Un enjeu crucial pour maintenir un bon niveau de « liquidité » et éviter d’asphyxier un peu plus les entreprises.

Taux, prêts aux PME, QE: la potion anti-coronavirus attendue de la BCE

Pressée d’agir face à l’épidémie de coronavirus, la Banque centrale européenne devrait dégainer jeudi une série de mesures pour calmer les marchés financiers et soutenir les secteurs les plus touchés.

Voici les principales actions envisagées.

– Baisser un taux

Comme la BCE maintient son principal taux à zéro depuis mars 2016, elle ne dispose pas des marges de manoeuvre de la Réserve fédérale américaine, qui vient de descendre le sien de 0,5 point pour le porter dans une fourchette de 1% à 1,25%.

Mais les gardiens de l’euro pourraient abaisser leur « taux de dépôt », qui s’applique aux liquidités que les banques choisissent de leur confier faute de les distribuer sous forme de crédits.

Déjà négatif, à -0,50%, ce taux pourrait être porté à -0,60%, tout en laissant la possibilité de nouvelles baisses, pour inciter encore plus fortement les banques à prêter aux ménages et aux entreprises.

– Soulager les banques

Consciente que ce taux négatif rogne les marges des banques, la BCE exonère une partie des liquidités en excès, selon un système dit « two-tier » inauguré en septembre et élargi en novembre.

Selon Eric Dor, de l’Institut d’économie scientifique et de gestion, l’institut pourrait encore relever la proportion des dépôts dispensés de ce prélèvement: il pourrait désormais représenter « dix » fois les réserves obligatoires constituées par les banques pour faire face aux retraits de leurs clients, contre « six » actuellement.

La mesure profiterait principalement aux banques allemandes et françaises, aujourd’hui les plus pénalisées par les taux négatifs.

– Soutenir les PME

Depuis octobre, la BCE mène sa troisième campagne de prêts géants aux banques (dits TLTRO), à des taux très avantageux, à condition que les banques prêtent à leur tour aux ménages ou aux entreprises.

Comme elles empruntent au niveau du taux de dépôt, soit -0,50%, les banques recourant au TLTRO sont de fait rémunérées par la BCE quand elles prêtent de l’argent.

Il semble difficile d’assouplir encore ces conditions à quelques jours d’une nouvelle vague, mais la BCE pourrait concevoir un nouveau type de prêts ciblant « les entreprises non financières les plus touchées par la crise », en particulier les PME, selon Frederik Ducrozet, stratégiste chez Pictet Wealth Management.

La Banque d’Angleterre vient d’ailleurs de faire de même mercredi, en même temps qu’elle abaissait son principal taux.

– Augmenter les rachats de dette

La BCE a réactivé depuis novembre ses rachats de dette publique et privée, sa puissante arme anti-crise baptisée « QE » (« Quantitative Easing », « Assouplissement quantitatif »), déjà déployée entre mars 2015 et fin 2018.

L’institution détenait fin février 2.623 milliards d’euros de dette à son bilan, afin de maintenir de bonnes conditions financières sur les marchés.

Mais le conseil des gouverneurs de la BCE était apparu divisé comme jamais en septembre, au moment de décider la reprise de ces rachats de dette à raison de 20 milliards d’euros par mois.

La BCE pourrait toutefois augmenter le rythme de ses achats, à 30 milliards par mois selon les observateurs, en accentuant par exemple la part de la dette d’entreprise rachetée.

Elle pourrait aussi modifier les règles qui limitent le rachat de dette souveraine, voire envisager le rachat de dette ou d’actions de banques si la crise s’aggrave, avance Florian Hense, analyste chez Berenberg.

Mais la contestation n’est pas près de s’éteindre en Allemagne, où la Cour constitutionnelle doit se prononcer le 24 mars sur la validité du « QE ». Des eurosceptiques veulent faire établir qu’à travers cet outil, la BCE viole l’interdiction de financer directement les Etats.

Italie: le blocus de Codogno est levé, les habitants restent inquiets

Cette petite ville lombarde était devenue le symbole de l’arrivée du coronavirus en Italie: placés 15 jours en stricte quarantaine les habitants de Codogno (nord) ont été autorisés à ressortir cette semaine et sont désormais logés à la même enseigne que les autres Italiens, mais l’angoisse est toujours là.

Dans les rues, peu de voitures; les bars et les restaurants restent pour la plupart fermés et au MacDonald, les clients se font rares; pour entrer dans les supermarchés, il faut patienter une demi-heure dans une file où les clients se tiennent à distance réglementaire, masque sur la bouche, les entrées se faisant au rythme des sorties.

« La situation ne s’est pas améliorée. Les gens sortent, mais ont toujours peur », dit Roberta Franceschini, 30 ans, employée du bar Mania. « A mes yeux, la situation reste la même qu’il y a quelques jours. Personne ne sort, c’est un désastre », dit Marino Boccardi, 67 ans.

Ces deux semaines de quarantaine entamées le 23 février, entourés d’un cordon étanche surveillé par la police, « ont été difficiles, cela a dicté les vies de chacun d’entre nous », raconte Antonio Zetti, un retraité de 58 ans. « L’avenir m’inquiète. Nous ne savons pas si la période nécessaire pour surmonter l’impact social » de cet isolement « relève du très long terme ou du long terme », poursuit-il.

La décision de rouvrir le périmètre étanche autour de Codogno avait été commentée comme une bonne nouvelle dans le pays, bien vite éclipsée par l’interdiction de rassemblement et la restriction des déplacements dans toute l’Italie décidées le lendemain par les autorités.

« Nous avons besoin d’exporter le modèle Codogno à toute la Lombardie parce qu’il a démontré qu’il fonctionne. Codogno est l’unique endroit de Lombardie où la contagion s’est réduite », s’est félicité mercredi le président de la région Lombardie, Attilio Fontana.

Des voix s’étaient toutefois très vite élevées contre cette levée de la quarantaine, mettant en garde contre tout optimisme démesuré. C’est vrai que Codogno est l’endroit « où les contagions diminuent, contrairement au reste de l’Italie », dit à l’AFP Roberto Burioni, professeur de virologie à l’université Vita-Salute San Raffaelle de Milan.

« Mais cela n’a pas de sens à l’heure actuelle de parler d’immunité de groupe, parce qu’on ne sait pas encore si un individu qui a contracté le virus, et qui a guéri, est définitivement protégé contre une infection ultérieure », poursuit le spécialiste.

Taux, prêts aux PME, QE: la potion anti-coronavirus attendue de la BCE

Pressée d’agir face à l’épidémie de coronavirus, la Banque centrale européenne devrait dégainer jeudi une série de mesures pour calmer les marchés financiers et soutenir les secteurs les plus touchés.

Voici les principales actions envisagées.

– Baisser un taux

Comme la BCE maintient son principal taux à zéro depuis mars 2016, elle ne dispose pas des marges de manoeuvre de la Réserve fédérale américaine, qui vient de descendre le sien de 0,5 point pour le porter dans une fourchette de 1% à 1,25%.

Mais les gardiens de l’euro pourraient abaisser leur « taux de dépôt », qui s’applique aux liquidités que les banques choisissent de leur confier faute de les distribuer sous forme de crédits.

Déjà négatif, à -0,50%, ce taux pourrait être porté à -0,60%, tout en laissant la possibilité de nouvelles baisses, pour inciter encore plus fortement les banques à prêter aux ménages et aux entreprises.

– Soulager les banques

Consciente que ce taux négatif rogne les marges des banques, la BCE exonère une partie des liquidités en excès, selon un système dit « two-tier » inauguré en septembre et élargi en novembre.

Selon Eric Dor, de l’Institut d’économie scientifique et de gestion, l’institut pourrait encore relever la proportion des dépôts dispensés de ce prélèvement: il pourrait désormais représenter « dix » fois les réserves obligatoires constituées par les banques pour faire face aux retraits de leurs clients, contre « six » actuellement.

La mesure profiterait principalement aux banques allemandes et françaises, aujourd’hui les plus pénalisées par les taux négatifs.

– Soutenir les PME

Depuis octobre, la BCE mène sa troisième campagne de prêts géants aux banques (dits TLTRO), à des taux très avantageux, à condition que les banques prêtent à leur tour aux ménages ou aux entreprises.

Comme elles empruntent au niveau du taux de dépôt, soit -0,50%, les banques recourant au TLTRO sont de fait rémunérées par la BCE quand elles prêtent de l’argent.

Il semble difficile d’assouplir encore ces conditions à quelques jours d’une nouvelle vague, mais la BCE pourrait concevoir un nouveau type de prêts ciblant « les entreprises non financières les plus touchées par la crise », en particulier les PME, selon Frederik Ducrozet, stratégiste chez Pictet Wealth Management.

La Banque d’Angleterre vient d’ailleurs de faire de même mercredi, en même temps qu’elle abaissait son principal taux.

– Augmenter les rachats de dette

La BCE a réactivé depuis novembre ses rachats de dette publique et privée, sa puissante arme anti-crise baptisée « QE » (« Quantitative Easing », « Assouplissement quantitatif »), déjà déployée entre mars 2015 et fin 2018.

L’institution détenait fin février 2.623 milliards d’euros de dette à son bilan, afin de maintenir de bonnes conditions financières sur les marchés.

Mais le conseil des gouverneurs de la BCE était apparu divisé comme jamais en septembre, au moment de décider la reprise de ces rachats de dette à raison de 20 milliards d’euros par mois.

La BCE pourrait toutefois augmenter le rythme de ses achats, à 30 milliards par mois selon les observateurs, en accentuant par exemple la part de la dette d’entreprise rachetée.

Elle pourrait aussi modifier les règles qui limitent le rachat de dette souveraine, voire envisager le rachat de dette ou d’actions de banques si la crise s’aggrave, avance Florian Hense, analyste chez Berenberg.

Mais la contestation n’est pas près de s’éteindre en Allemagne, où la Cour constitutionnelle doit se prononcer le 24 mars sur la validité du « QE ». Des eurosceptiques veulent faire établir qu’à travers cet outil, la BCE viole l’interdiction de financer directement les Etats.