Ce lundi 7 avril, une page s’est tournée dans l’histoire tumultueuse des géants numériques. Meta, maison mère de Facebook, Instagram et Threads, a mis un terme définitif à son programme de vérification des faits aux États-Unis, une décision mûrie depuis janvier et portée à son aboutissement sous l’égide de Joel Kaplan, figure influente de la communication chez Meta et proche de l’ancien président Donald Trump. Cette rupture, qui dissout les partenariats tissés avec des médias indépendants chargés de scruter la véracité des publications, ouvre un chapitre inédit où la lutte contre la désinformation semble céder le pas à une liberté d’expression débridée. Désormais, les garde-fous d’antan, qui sanctionnaient les contenus fallacieux, s’effacent au profit d’un système de « notes communautaires », calqué sur le modèle instauré par X, où les utilisateurs eux-mêmes deviennent les arbitres de la vérité.
Une mutation stratégique aux accents politiques
L’annonce, loin de surgir comme un éclair dans un ciel serein, s’inscrit dans une trajectoire esquissée dès les premiers jours de l’année. En janvier, Meta avait laissé filtrer son intention de réévaluer ses mécanismes de modération, une réflexion qui, sous la houlette de Joel Kaplan, a pris une tournure résolument tranchée. Cet homme, dont les accointances avec les cercles républicains ne sont plus un secret, incarne une vision dans laquelle la régulation des contenus doit s’effacer devant une approche moins interventionniste. Exit donc les collaborations avec des entités journalistiques externes qui, depuis 2016, avaient pour mission d’éplucher les assertions douteuses circulant sur les plateformes du groupe. À la place, un dispositif participatif voit le jour : les internautes, par leurs annotations collectives, sont invités à contextualiser, préciser ou contredire les publications, sans qu’aucune pénalité ne vienne entraver les contenus jugés trompeurs.
Ce basculement n’est pas sans rappeler l’évolution récente de X, où Elon Musk a également relégué les traditionnels vérificateurs au rang de vestiges d’une ère révolue. Chez Meta, cette mutation stratégique résonne comme une réponse aux critiques récurrentes d’une censure excessive, souvent brandies par les tenants d’une parole sans entraves. Pourtant, elle soulève une interrogation majeure : dans un paysage numérique déjà saturé d’affabulations, ce relâchement des rênes ne risque-t-il pas d’amplifier la cacophonie informationnelle ?
Meta : une brèche ouverte à la prolifération des chimères
Jusqu’à ce jour, le programme de fact-checking de Meta, bien qu’imparfait, offrait une digue, certes fragile, contre les torrents de désinformation. En s’appuyant sur des organisations tierces, il permettait d’identifier les récits mensongers – qu’il s’agisse de théories conspirationnistes ou de fausses nouvelles aux conséquences tangibles – et d’en limiter la portée par des avertissements ou une réduction de visibilité. Ce mécanisme, né dans le sillage des turbulences post-électorales de 2016, avait pour ambition de restaurer une forme de confiance dans l’écosystème numérique. Or, son démantèlement marque un renoncement à cette ambition, au profit d’une gouvernance plus diffuse, confiée à la sagacité ou à l’arbitraire des foules.
Les « notes de la communauté », désormais érigées en pivot de la modération, promettent une démocratie participative où chaque utilisateur peut jouer les sentinelles de la vérité. Mais cette noble intention se heurte à une réalité prosaïque : la foule, si elle peut briller par sa diversité, n’est pas exempte de biais, de passions ou d’ignorance. Là où les fact-checkers professionnels s’appuyaient sur des méthodes rigoureuses et des sources vérifiables, les internautes, eux, risquent de s’en remettre à leurs convictions ou à leurs émotions. Que dire, par exemple, d’une rumeur savamment orchestrée, portée par une majorité bruyante, face à une vérité plus discrète, mais avérée ? Sans un contrepoids institutionnel, le système menace de devenir une chambre d’écho où la force du nombre l’emporte sur la solidité des faits.
Une profession en sursis, une société en questionnement
Ce virage sonne également comme un glas pour les vérificateurs de faits, dont le métier, déjà malmené par les accusations de partialité, voit son avenir s’assombrir. Aux États-Unis, où des organes tels que PolitiFact ou Snopes collaboraient avec Meta, cette décision pourrait précipiter un déclin irrémédiable. Certains y verront la fin d’une ère de « prétendue inquisition numérique », pour reprendre les termes d’un commentateur acerbe retrouvé sur X ; d’autres, au contraire, déploreront la disparition d’un rempart essentiel face à l’obscurantisme. Car si la liberté d’expression gagne en latitude, elle s’accompagne d’un corollaire inquiétant : l’absence de mécanismes fiables pour endiguer les fables qui, hier encore, auraient été démontées avec méthode.
Les implications de cette métamorphose dépassent les seules frontières américaines. Dans un monde dans lequel les plateformes de Meta irriguent les échanges de milliards d’individus, la circulation sans frein d’informations fallacieuses pourrait redessiner les contours du débat public. Elections manipulées, crises sanitaires amplifiées par des contrevérités, tensions sociales attisées par des récits biaisés : autant de spectres que ce nouvel ordre numérique pourrait raviver. Et si X, sous l’impulsion de Musk, a déjà donné un aperçu de cette dynamique, Meta, par son poids colossal, pourrait en décupler les effets.
Vers un horizon incertain avec Meta
Une interrogation subsiste, comme une ombre portée par ce bouleversement : qui, désormais, portera la lumière dans ce dédale d’ombres informationnelles ? Les utilisateurs, investis d’une mission qu’ils n’ont pas tous les moyens d’assumer ? Les algorithmes, muets et opaques, qui continueront de trier les contenus selon des critères insondables ? Ou bien une société civile, peut-être contrainte de réinventer ses propres outils pour démêler le vrai du faux ? Meta, en se délestant de son rôle de vigie, laisse derrière elle un vide que nul ne semble prêt à combler. Et dans ce silence, l’écho des faussetés risque de retentir plus fort que jamais, jusqu’à ce qu’une nouvelle voix, encore indistincte, vienne peut-être en dessiner les contours.