Une nouvelle mouture du gouvernement a été dévoilée tard mercredi soir par le Premier ministre Elyes Fakhfakh en Tunisie, écartant a priori le spectre de nouvelles élections, au terme d’un bras de fer entre le président Kais Saied et le parti d’inspiration islamiste Ennahdha.
M. Fakhfakh a présenté une liste remaniée par rapport à celle dévoilée quatre jours plus tôt et qui avait été rejetée par Ennahdha. Première force du Parlement avec 54 sièges, cette formation obtient sept portefeuilles mais pas ceux qu’elle escomptait.
Conséquence: plus de quatre mois après la fin des élections, la jeune démocratie tunisienne pourrait enfin être dotée, prochainement, d’un nouveau gouvernement, à la faveur d’un vote à l’Assemblée, où il devra décrocher la majorité de 109 voix (sur 217 sièges).
Quand précisément? Mercredi soir, le chef de l’Etat a adressé un courrier au président du Parlement pour lui demander de fixer une date pour la plénière. Le bureau du Parlement doit se réunir dans les 48 heures après réception de cette correspondance et fixer la date dans un délai ne dépassant par une semaine.
« Enfin, le dénouement! », a titré jeudi le quotidien francophone La Presse, sûr de son fait malgré les multiples rebondissements des derniers mois.
« Si on se réfère aux déclarations des différents partis, il y a une intention d’accorder la confiance », a dit à l’AFP le politologue Selim Kharrat.
– « Tout à fait démocratique » –
Mercredi soir, face aux blocages, des négociations intenses ont continué jusqu’à la dernière minute, avec l’aide de la puissante centrale syndicale UGTT -un médiateur historique-, et l’organisation patronale Utica.
« La période des concertations, malgré ses difficultés et sa complexité, s’est déroulée de façon tout à fait démocratique », a commenté Elyes Fakhfakh.
Alors qu’Ennahdha avait soutenu Kais Saied au second tour de la présidentielle à l’automne dernier, les négociations de l’hiver ont mis au jour de profondes divergences entre les principaux acteurs de la politique tunisienne, tous deux désireux d' »imposer leurs orientations », selon Abdellatif Hannachi, professeur d’histoire contemporaine.
Néophyte en politique mais élu avec un très confortable score, Kaies Saied est un spécialiste du droit constitutionnel très critique du système parlementaire partisan. Il défend notamment une décentralisation radicale du pouvoir.
M. Ghannouchi, lui, est une figure de la classe politique aux commandes depuis la révolution de 2011, qui a toutefois vu son poids électoral s’éroder.
Par pur pragmatisme, il a accédé à la présidence de l’Assemblée (ARP) à la faveur d’une alliance avec son principal adversaire électoral, Qalb Tounes, mené par le sulfureux magnat des médias Nabil Karoui.
– « Lutte pour le pouvoir » –
Dans leur bras de fer, MM. Saied et Ghannouchi ont argué « d’interprétations différentes de la Constitution. Mais, au fond, c’est une lutte pour le pouvoir », avait relevé mardi le quotidien Chourouk.
Saluée lors de son adoption en 2014 comme une avancée majeure sur le chemin de la démocratie, la Constitution tunisienne a en effet donné naissance à un régime hybride, ni parlementaire ni présidentiel, prompt à ce type de blocage.
Au final, si Ennahdha a obtenu sept ministères dans la dernière mouture du gouvernement, il n’a pas eu ceux escomptés, notamment l’Intérieur et la Justice.
Durant le week-end, la formation d’inspiration islamiste avait évoqué une démission de M. Fakhfakh ou une motion de censure contre le gouvernement sortant, deux options lui permettant de proposer une autre figure au poste de Premier ministre.
Mais Kais Saied avait coupé court lundi soir à ces plans, en assénant au passage devant les caméras un cours de droit à un Rached Ghannouchi mal à l’aise. Non sans avoir martelé que l’unique alternative à l’octroi de la confiance au gouvernement Fakhfakh était de se préparer à une dissolution de l’Assemblée.
Ennahdha a justifié mercredi soir sa volte-face par la nécessité de prendre « en considération la situation économique et sociale » du pays et le conflit en Libye voisine.
Les incertitudes politiques des derniers mois pénalisent une économie tunisienne à la fragilité chronique, en laissant de nombreux dossiers en suspens dont celui des négociations avec les bailleurs de fonds.
Quant aux Tunisiens, une décennie après avoir chassé le dictateur Zine el Abidine Ben Ali, ils attendent toujours un gouvernement à même de s’attaquer aux maux socio-économiques qui rongent leur pays.