Ce fut l’une des images fortes de la longue crise politique qui a précédé l’annulation pour fraude de l’élection présidentielle de mai 2019 au Malawi: l’armée dans la rue pour assurer la protection de manifestants hostiles au gouvernement.
Pendant les six mois qui ont suivi le scrutin contesté, le pays a été le théâtre de violences entre la police et les partisans de l’opposition, qui dénonçaient la réélection à leurs yeux frauduleuse du président sortant Peter Mutharika.
La Cour constitutionnelle leur a donné raison début février en annulant, une décision historique, la présidentielle pour cause d' »anomalies systématiques et graves ».
Un nouveau scrutin est prévu le 19 mai prochain.
L’an dernier, les premières semaines de la contestation électorale ont été marquées par des heurts entre des manifestants et la police qui ont fait au moins 2 morts, dont un policier.
C’est dans ce contexte explosif que l’armée est sortie de ses casernes le 19 juillet 2019 pour apaiser les tensions, sans que l’on sache clairement qui le lui a ordonné.
« L’armée met son savoir-faire à la disposition des autorités civiles, que ce soit la police ou un autre service », avait justifié l’année dernière le chef d’état-major des Forces de défense du Malawi (MDF), le général Vincent Nundwe.
Son intervention avait été peu goûtée du président Mutharika, qui avait dans la foulée nommé trois nouveaux généraux à des postes-clés de l’état-major.
– ‘Respect constitutionnel’ –
Une forme de pression qui n’a guère ému le général Nundwe.
« Je me dois de faire respecter ce qui est inscrit dans la Constitution », avait-il expliqué. « Que le peuple manifeste, après tout c’est son droit le plus strict. Mais il ne doit pas empiéter sur les droits des autres ou détruire de biens ».
L’article 160 de la loi fondamentale malawite stipule que « les MDF doivent faire respecter et protéger l’ordre constitutionnel de la République et aider les autorités à accomplir leurs fonctions telles que définies par la Constitution ».
« Les MDF protégeront tout le monde, sans aucune considération tribale ou de quelque autre sorte », insiste l’officier supérieur.
Sur un continent où les hommes en treillis sont souvent associés aux coups d’Etat et à la répression, le rôle de tampon joué par ceux du Malawi a surpris à l’étranger.
« Les images récentes de soldats protégeant des manifestations de l’opposition sont contraires à l’image que beaucoup d’Africains se font de l’armée », note Nathan Chiume, un analyste politique établi aux Etats-Unis.
A l’inverse, l’armée malawite s’est déjà plusieurs fois distinguée dans un rôle de protection des institutions.
En 1993, un an avant l’avènement de la démocratie, ses soldats avaient démantelé l’aile paramilitaire du président de l’époque, Hastings Kamuzu Banda (1966-1994).
En 2012, ils étaient à nouveau intervenus à la mort brutale du président Bingu wa Mutharika. Le gouvernement de l’époque essayait alors d’empêcher la vice-présidente Joyce Banda de prendre le pouvoir, conformément à la Constitution. L’armée l’a vite contraint à obtempérer.
– ‘Confiance’ –
« Les MDF ont permis à la démocratie et à l’Etat de droit de s’imposer », se souvient Mme Banda. « Elles ont joué un rôle essentiel en apportant la justice au nom des pauvres et des sans-voix au Malawi », ajoute l’ex-cheffe de l’Etat.
Selon elle, les manifestations des derniers mois n’auraient pas eu lieu sans la confiance de l’opposition en « ses » militaires.
« Les MDF sont une institution sur laquelle le peuple du Malawi a toujours pu compter », confirme le principal adversaire du régime, Chakwera. « Ces derniers mois, les soldats ont maintes fois créé un environnement sûr qui a permis aux citoyens d’exercer leur droit à manifester pacifiquement ».
Officiellement, le camp de Peter Mutharika s’est réjouit du rôle joué par les militaires pendant la récente crise.
« (Ils) se sont toujours comportés de façon professionnelle », note le porte-parole du gouvernement Mark Botomani, « nous avons une des armées les plus disciplinées de la région ».
En coulisses toutefois, les partisans du président sortant ne cachent pas une certaine exaspération.
« Je ne pense pas que l’armée ait formellement outrepassé son rôle », juge l’un d’eux, Joshua Khan, mais « elle aurait dû empêcher les manifestations. Il y a eu des morts ! » « Les marches pacifiques sont devenues violentes et les MDF ont semblé d’accord avec ça », déplore-t-il.
Malgré ces critiques, les deux camps restent persuadés que l’armée saura garder sa neutralité lors du nouveau scrutin à venir, malgré les inévitables tensions.
« Les MDF resteront impartiales », assure le général à la retraite Marcel Chirwa. « Elles barreront la route du pouvoir à tout parti considéré comme un ennemi des citoyens », ajoute-t-il, « mais rentreront dans leurs casernes (…) sitôt la menace écartée ».