En bas, quelques clients savourent leur boisson, attablés au comptoir ou assis sur des chaises dépareillées dans une salle au style éclectique. A l’étage, une dizaine d’habitués s’activent pour construire un nouveau bar et faire une place au futur ascenseur.
Ces fidèles du Ye Olde Cross, un établissement datant du 19e siècle niché dans le village de Ryton au nord-est de l’Angleterre, ont décidé de retrousser leurs manches et de mettre la main au portefeuille, pour sauver leur pub préféré de la faillite.
« Nous avons récolté assez d’argent pour acheter le bâtiment, mais pas beaucoup plus, donc nous faisons le maximum nous-mêmes », explique Ted Euers, un des douze membres du Comité des actionnaires.
Ce pub, comme plus d’une centaine d’autres dans le pays, appartient à un groupe d’actionnaires individuels, en vertu d’une loi votée au début des années 2010 reconnaissant le rôle de ces débits de boisson dans le mode de vie britannique et ouvrant la possibilité à leur reprise par des habitants pour éviter leur disparition.
Ye Olde Cross a fermé en 2018 – un « crève-coeur » pour nombre d’habitants de Ryton, village de 7.500 âmes – victime d’un changement fréquent de gérance qui s’est traduit par une perte de rentabilité.
Une situation loin d’être inhabituelle, puisque depuis 2007, environ 25% des pubs au Royaume-Uni ont fermé, soit environ 12.000, selon le Bureau national des statistiques (ONS).
« L’année dernière, nous avons observé une fermeture toutes les douze heures », a commenté auprès de l’AFP Nik Antona, président de Camra, une association militant pour le maintien de ces espaces de sociabilité.
Les causes de cette hécatombe sont multiples: apparition de nouveaux espaces de socialisation pour les jeunes, notamment avec les réseaux sociaux, baisse de la consommation d’alcool, effets de la crise économique de 2008 et impôts élevés sur l’immobilier commercial.
Le gouvernement a annoncé une ristourne fiscale de 1.000 livres pour les plus petits établissements cette année, « un bon début » mais « un pansement sur une jambe de bois », pour Nik Antona.
– Pas payés en bières –
Lorsque Ye Olde Cross a fermé, des habitants de Ryton ont décidé d’unir leurs forces et de reprendre le lieu.
Après plusieurs mois de porte à porte et de lobbying auprès des politiques, ils parviennent à récolter environ 150.000 livres (177.000 euros) auprès de plus de 300 personnes.
Si la valeur des parts achetées ne fluctue pas, et ne permet pas de plus-value à la revente, celles-ci devraient néanmoins offrir dans le futur un dividende symbolique.
La communauté a aussi pu bénéficier de 50.000 livres de subventions et a emprunté un montant identique. Les clients-actionnaires continuent toutefois de mettre la main à la pâte pour faire vivre l’établissement.
« Nous ne sommes pas payés en bières », promet, pinte de blonde en main, l’un des bénévoles après avoir remis en ordre l’étage, qui sert de salle de yoga en fin de journée.
Tricot, cinéma, lecture ou discussions entre jeunes et futures mamans, les activités ne manquent pas à Ye Olde Cross.
La plupart sont animées par des membres de la communauté et une partie du prix – pour celles qui sont payantes – est reversée au pub.
« C’est gagnant-gagnant », précise la professeure de yoga.
Pour Abigail Bennett, qui gère le lieu avec son compagnon Billy, l’animation de cette communauté représente un travail « beaucoup plus stressant » que dans un modèle standard de débit de boisson, mais « tellement plus gratifiant ».
– Du service postal à l’épicerie –
S’il a fait des émules jusqu’à Londres, où un pub a été repris par des habitants, ce modèle n’est pas applicable partout, et à chaque établissement sa solution.
Si la plupart choisissent la montée en gamme, en améliorant la qualité des plats servis et en s’adaptant plus aux besoins de la clientèle féminine et des familles, d’autres, comme la chaine Wetherspoon, font le choix du pub « low cost », sans chichi ni fioritures.
Signe de l’importance qu’ont pris les pubs dans la vie locale, notamment dans les campagnes touchées par la désertification, certains établissements ont décidé d’offrir un service postal, ou des produits du quotidien avec un coin épicerie.