L’effondrement des cours du pétrole rend la situation « critique » pour l’Algérie en raison de sa dépendance à la rente pétrolière, avertit le professeur Mourad Preure, un spécialiste algérien des hydrocarbures et ancien dirigeant du groupe public pétrolier Sonatrach.
Pour ce géopoliticien de l’énergie, la chute des prix de l’or noir rend « envisageables » les scénarios « les plus pessimistes » pour l’économie mondiale.
Q: Quel impact attendre de la chute des prix du pétrole sur l’économie algérienne?
R: « L’Algérie est excessivement exposée aux fluctuations du marché pétrolier du fait de la faible diversification de son économie.
L’impact sera très fort avec des recettes d’hydrocarbures déjà en deçà des besoins. Selon toute vraisemblance, ces recettes en 2020 vont se situer dans un créneau entre 34 milliards de dollars, soit leur niveau actuel, et plus ou moins 20 milliards de dollars, selon les évolutions possibles de la crise.
Dans tous les cas, la situation est critique. Elle impose, d’abord, un effort rigoureux d’anticipation des menaces mais aussi des opportunités, car toute crise recèle des opportunités ».
Q: Quelles sont ces opportunités et les solutions possibles pour l’Algérie?
R: « Il est clair que, parmi les priorités, figurent une puissante accélération des réformes économiques, une profonde modernisation de la gouvernance et une amélioration du climat des affaires.
L’Algérie, toutes proportions gardées, a les moyens, notamment financiers, et des avantages comparatifs naturels, pour surmonter cette crise.
Mais il lui faut une stratégie novatrice: diversifier l’économie et aller vers la transition énergétique ».
Q: Quelles sont les probabilités que l’effondrement des cours persiste, soit du fait de la crise du coronavirus, soit de la volonté de certains producteurs de dicter les règles du marché?
R: « Nous sommes face à un véritable choc baissier, plus grave encore qu’en 2014.
Ce choc survient dans un contexte exceptionnel. L’économie chinoise subit un sévère ralentissement qui a un effet déflagrant sur l’industrie pétrolière mondiale.
Dans ce contexte, où il y a une surabondance de l’offre (de pétrole) et où la demande ralentit, les scénarios les plus pessimistes sont envisageables.
Une diffusion plus large de l’épidémie pourrait même conduire à +un collapsus+ de l’économie mondiale. Nous sommes dans une situation de grande imprévisibilité.
De fait, le « consensus d’Alger » qui avait réuni en 2016 les pays de l’Opep et des pays non Opep, avec à leur tête la Russie, n’a pas résisté à cette crise.
En effet, le partage des sacrifices consécutifs à une baisse de la production pour soutenir les prix est différent, vu le niveau de vulnérabilité plus fort de l’Arabie saoudite et des autres membres de l’Opep par rapport à la Russie, dont l’économie est plus diversifiée et qui peut se suffire d’un baril à 42,4 dollars (ndlr: Moscou a basé ses prévisions budgétaires 2020 sur un baril de Brent à 42,4 dollars).
La guerre des prix engagée inconsidérément par l’Arabie Saoudite, comme chaque fois dans l’histoire, se conclura encore par un affaiblissement des pays producteurs. Et des niveaux de prix en dessous de 30 dollars le baril ne sont plus à exclure.
Certes, on peut anticiper un retour de la Russie à la table des négociations et un ralentissement de la production américaine. Mais les incertitudes, excessivement fortes, quant à l’évolution de l’économie mondiale, orientent les marchés qui tendent à surréagir aux crises, entraînant un +effet papillon+, vers un enchaînement chaotique qui risque fort d’être inédit dans l’Histoire ».