Le différend entre le Mali et l’Algérie, latent depuis des décennies, a franchi un seuil critique le 1ᵉʳ avril 2025, lorsque l’Algérie a abattu un drone malien près de Tinzaouatène, une localité frontalière au cœur des tumultes sahéliens. Cet acte, loin d’être anodin, a jeté une lumière crue sur les fractures profondes entre les deux nations. Le Mali, déterminé à traquer les figures emblématiques du terrorisme, accuse l’Algérie de faire obstacle à ses efforts, voire de ménager une arrière-garde aux groupes armés. L’incident, impliquant un appareil turc Baykar Akıncı déployé dans une mission de renseignement, soulève des interrogations troublantes sur les desseins algériens et menace d’enflammer une région déjà fragilisée par l’insécurité chronique.
le Mali et l’Algérie: une frappe aux répercussions immédiates
L’appareil abattu, acquis par le Mali en 2024, survolait une zone stratégique dans le cadre d’une opération visant Iyad Ag Ghali, chef charismatique du JNIM (Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin), recherché par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité. Selon des sources sécuritaires maliennes, le drone avait pour objectif de localiser un conclave de hauts responsables terroristes près de Tinzaouatène, un carrefour sur lequel les frontières poreuses favorisent les mouvements clandestins. L’Algérie, invoquant une « violation de son espace aérien », a promptement neutralisé l’engin, une décision que Bamako perçoit comme une entrave délibérée à sa lutte antiterroriste.
Ce geste intervient dans un contexte dans lequel les relations entre les deux pays se sont progressivement délitées. Le Mali reproche à l’Algérie, depuis des années, de tolérer – sinon de soutenir – des figures comme Ag Ghali, dont l’influence s’étend sur le nord malien. L’argument algérien, bien que techniquement recevable, peine à convaincre : des survols similaires par ce type de drone avaient eu lieu par le passé sans provoquer de réaction aussi tranchée. La concomitance entre cette interception et une opération d’envergure contre Ag Ghali alimente les soupçons d’une protection ciblée.
Des ombres persistantes sur les intentions algériennes
Les accusations maliennes ne naissent pas ex nihilo. Dès 2012, des rapports onusiens mettaient en lumière des appuis transfrontaliers dont bénéficiait Iyad Ag Ghali, lui permettant d’échapper aux offensives internationales. Jeremy Keenan, spécialiste reconnu à la SOAS de Londres, allait plus loin en 2017, affirmant que le leader du JNIM entretenait des liens étroits avec les services de renseignement algériens. Ces allégations, bien que jamais formellement étayées, résonnent avec une persistance déconcertante dans les cercles sécuritaires maliens. La longévité d’Ag Ghali, malgré les traques incessantes, interroge : comment un homme aussi recherché peut-il opérer avec une telle aisance dans une zone sous influence algérienne ?
L’Algérie, forte de son rôle autoproclamé de rempart contre le terrorisme au Sahel, se trouve dans une position paradoxale. En décembre 2023, une opération malienne avait permis d’éliminer Fagaga, un émir influent, dans la région de Tinza, sans que l’Algérie ne s’interpose. Cette réussite, saluée comme un coup d’éclat par Bamako, contrastait avec l’incident récent. Pourquoi, cette fois, avoir opté pour une riposte aussi radicale ? La réponse, selon le général d’armée Assimi Goïta, chef de l’État malien, ne fait aucun doute : l’acte algérien constitue une « agression » visant non seulement le Mali, mais l’ensemble de la Confédération des États du Sahel (AES). En signe de protestation, les ambassadeurs des États membres accrédités à Alger ont été rappelés, marquant un point de rupture diplomatique.
Une escalade aux enjeux colossaux pour le Mali et l’Algérie
Cet affrontement met en exergue des visions divergentes de la sécurité régionale. Le Mali, soutenu par l’AES, mise sur une stratégie offensive pour éradiquer les foyers terroristes, tandis que l’Algérie privilégie une approche plus mesurée, soucieuse de préserver sa souveraineté et son rôle de médiateur historique. Pourtant, cette posture défensive s’effrite face aux soupçons d’ambiguïté. Si la protection d’Ag Ghali venait à être confirmée, elle porterait un coup sévère à la crédibilité algérienne et risquerait de galvaniser les groupes armés, qui prospèrent dans les interstices de la discorde interétatique.
La fermeté malienne, incarnée par le rappel des diplomates, pourrait contraindre l’Algérie à clarifier ses intentions. Mais la défiance, désormais ancrée, complique toute tentative de désescalade. La communauté internationale, de l’ONU à l’Union africaine, se voit investie d’une mission délicate : apaiser les tensions avant qu’elles ne dégénèrent en un conflit ouvert, aux conséquences imprévisibles pour le Sahel. Car, dans cette région où chaque faux pas amplifie le chaos, l’ambiguïté des alliances demeure une brèche que les forces terroristes savent exploiter avec une redoutable habileté.
En somme, l’abattage du drone malien par l’Algérie n’est pas qu’un incident isolé : il cristallise des années de méfiance et expose les fragilités d’une coopération régionale déjà précaire. L’avenir dira si ce choc peut être surmonté par un sursaut de lucidité collective ou s’il ouvrira la voie à une conflagration dont nul ne peut encore mesurer l’ampleur.