Face à la crise du coronavirus, le droit de retrait n’est pas automatique et, comme dans toute situation concernant la santé des salariés, l’employeur est tenu de la protéger.
Loi et réalité ne font cependant pas toujours bon ménage et chaque situation devrait être examinée au cas par cas, estiment des spécialistes de la question.
Pour la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye, interrogée mercredi, « la situation sanitaire ne justifie pas un droit de retrait ».
Employés du Louvre, chauffeurs de bus, salariés habitant l’Oise, l’un des principaux foyers, l’ont pourtant déjà testé et pourraient faire des émules.
La législation l’encadre strictement: tout salarié peut se retirer d’une situation de travail s’il estime qu’elle présente « un danger grave et imminent » pour sa santé. L’employeur, tenu de respecter les directives gouvernementales sanitaires, ne peut l’en empêcher. Et il a une obligation de résultat concernant la prévention. En cas de contentieux, c’est un juge qui tranche, explique à l’AFP Jean-Paul Teissonière, avocat spécialisé dans les questions de santé au travail.
« Mais comment mesurer l’imminence du danger? », s’interroge-t-il. « Certains métiers sont plus exposés que d’autres. Il faut apprécier chaque situation et évaluer le risque au cas par cas. Toutes les entreprises ne sont pas exposées à l’identique, tous les métiers non plus, ceux en contact avec le public le sont plus », détaille-t-il.
« Nous conseillons la prudence avant d’exercer ce droit de retrait qui n’intervient que si l’employeur ne respecte pas les préconisations », dit à l’AFP Philippe Portier, spécialiste de ces questions à la CFDT. Si l’exercice de ce droit « est jugé abusif, cela peut avoir des conséquences graves pour le salarié, de la sanction au licenciement », dit-il.
« En pratique, salariés et employeurs s’entendent souvent sur une solution mais il y a des zones grises », concède ce syndicaliste.
« Tout salarié est en droit de cesser son activité après en avoir averti son employeur, s’il estime que les mesures sont insuffisantes pour protéger sa santé, ce qui suscite de l’anxiété, elle aussi nocive à sa santé », rappelle néanmoins Jérôme Vivenza, responsable de ces questions à la CGT.
Droit d’alerte
« Même en pleine forme, on peut considérer que les mesures prises sont insuffisantes au vu de l’exposition, notamment en cas de contact avec le public », assure Marc Benoit, secrétaire général CGT à l’INRS (santé et sécurité au travail), citant le cas d’un chauffeur routier qui serait obligé d’assurer une livraison, sans protection particulière, dans le département de l’Oise.
A la SNCF, indique Anne Guezennec, responsable à la CFDT Cheminots, les élus du personnel « ont d’abord exercé leur droit d’alerte » pour « réclamer des mesures de protection supplémentaires pour certains métiers », comme ceux en contact avec la clientèle. C’est, précise-t-elle, « l’inspection du travail qui tranchera ».
Une cellule de crise nationale a également été mise en place dans l’entreprise ferroviaire et des réunions régulières pour traiter les demandes. « Dans certains endroits on réfléchit à la désinfection totale des trains dans les centres de maintenance », ajoute-t-elle.
Le Louvre, fermé depuis dimanche en raison du droit de retrait invoqué par son personnel, a rouvert ses portes mercredi. Des réunions avec les syndicats ont abouti à la mise en place de mesures de protection du personnel, comme la distribution de solutions hydroalcooliques et l’autorisation de mener des contrôles plus distants.
Des chauffeurs de bus des réseaux franciliens Transdev et Keolis ont eux aussi exercé leur droit de retrait, notamment dans l’Essonne, tandis que le syndicat Unsa a averti que les salariés de la RATP pourraient exercer ce droit si l’opérateur ne prenait pas de mesures de protection supplémentaires, comme des gants, des masques pour les conducteurs et des lingettes désinfectantes. Chez Air France, masques, gants et gels hydroalcooliques ont été distribués aux personnels comme dans nombre d’entreprises.
Interrogé sur le sujet, une médecin du travail dans un grand groupe de presse a rappelé qu’en cas de passage au stade 3 de l’épidémie, les salariés les plus fragiles (maladies chroniques, déficience immunitaire… ) pourraient se voir proposer du télétravail. Plus généralement, elle déplore « une inquiétude excessive sur le risque infectieux qui a tendance à minimiser tous les autres risques pour la santé (environnementaux, chimiques…) ».