Dans l’enceinte feutrée de Doha, ce lundi 14 avril, une rencontre au sommet a réuni deux figures majeures du monde arabe : le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et l’émir du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad Al Thani. Leur dialogue, loin d’être une simple courtoisie diplomatique, s’est cristallisé autour d’enjeux cruciaux : apaiser les flammes qui ravagent Gaza, garantir un flot d’aide humanitaire, faciliter un échange de prisonniers et poser les jalons d’une paix durable par la création d’un État palestinien indépendant.
Cette concertation, marquée par un rejet inflexible de toute tentative de déracinement des Palestiniens, s’est accompagnée d’un plaidoyer vibrant pour la réconciliation nationale palestinienne et d’une condamnation des entraves aux pourparlers. Mais au-delà de ces engagements, les deux dirigeants ont jeté un regard inquiet sur l’embrasement persistant au Soudan et salué les pourparlers entre les États-Unis et l’Iran, esquissant ainsi une vision régionale à la croisée des crises.
Un front uni pour Gaza : paix, aide et reconstruction
Le cœur des discussions à Doha a battu au rythme de la tragédie gazaouie. Face à une escalade qui, selon les chiffres rapportés par des sources locales, a coûté la vie à plus de 50 000 personnes depuis octobre 2023, les deux leaders ont réitéré leur détermination à œuvrer pour un cessez-le-feu. Leur déclaration conjointe, publiée à l’issue de la rencontre, insiste sur la nécessité d’un acheminement massif d’aide humanitaire, alors que les restrictions israéliennes continuent d’asphyxier l’enclave. L’échange de prisonniers, élément clé des négociations menées par le Qatar et l’Égypte, a également été au centre des débats, avec une volonté affirmée de débloquer les pourparlers malgré les récents revers, notamment le refus d’Israël d’entamer la deuxième phase de l’accord de janvier 2025.
Le plan arabe de reconstruction de Gaza, porté par l’Égypte et endossé lors du sommet du Caire le 4 mars 2025, a été réaffirmé comme une priorité absolue. Ce projet ambitieux, évalué à 53 milliards de dollars, envisage une renaissance de l’enclave par étapes : déminage, construction de logements temporaires, recyclage des décombres et extension du littoral méditerranéen. Contrairement à la proposition controversée de l’administration Trump, qui envisageait un déplacement des 2,3 millions de Gazaouis vers des pays voisins, le plan égyptien s’ancre dans une conviction inébranlable : les Palestiniens doivent rester sur leur terre. Sissi et Tamim ont ainsi dénoncé toute tentative de dépeuplement, qualifiant une telle perspective de violation des droits fondamentaux.
À Doha : une ode à l’unité palestinienne et à la souveraineté
L’appel à la réconciliation nationale palestinienne a résonné avec force. Les deux dirigeants, conscients des fractures entre le Hamas, qui contrôle Gaza, et l’Autorité palestinienne, basée à Ramallah, ont plaidé pour une unification des rangs. Cet objectif, bien que récurrent, revêt une urgence accrue alors que les négociations pour un cessez-le-feu peinent à aboutir. En soutenant la formation d’un comité de gouvernance indépendant à Gaza, supervisé par l’Autorité palestinienne, mais sans participation du Hamas, l’Égypte et le Qatar cherchent à poser les bases d’une administration stable, capable de superviser la reconstruction tout en répondant aux exigences sécuritaires d’Israël.
Leur vision ne s’arrête pas aux frontières de l’enclave. En réclamant un État palestinien indépendant, basé sur les lignes du 4 juin 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale, Sissi et Tamim ont réaffirmé un principe cardinal de la cause palestinienne. Cette position, inscrite dans les résolutions de l’ONU et soutenue par la communauté arabe, contraste avec les réticences israéliennes et les ambiguïtés américaines, notamment sous l’administration Trump, qui a relancé des propositions jugées inacceptables par les Palestiniens.
Un regard régional : Soudan, Iran et médiation
Au-delà de Gaza, les deux leaders ont exprimé une vive préoccupation face à la guerre civile au Soudan, où les combats entre l’armée et les Forces de soutien rapide, depuis avril 2023, ont précipité une crise humanitaire sans précédent. Avec plus de 10 millions de déplacés et des milliers de morts, selon l’ONU, ce conflit menace la stabilité régionale. Sissi et Tamim ont appelé à un dialogue national inclusif, une démarche qui fait écho à leurs efforts de médiation dans d’autres crises, notamment au Yémen et en Libye.
Un autre point saillant de leur déclaration concerne les négociations indirectes entre les États-Unis et l’Iran, facilitées par Oman. L’Égypte et le Qatar, acteurs influents dans la géopolitique régionale, ont salué cette initiative, y voyant une opportunité de désamorcer les tensions qui alimentent les conflits par procuration, de Gaza au Liban. Cette position, bien que prudente, reflète leur ambition de jouer un rôle pivot dans la stabilisation du Moyen-Orient.
Doha : une médiation sous pression
Le Qatar et l’Égypte, forts de leur expérience diplomatique, n’ont pas manqué de condamner les tentatives visant à saboter les pourparlers sur Gaza. Selon des sources diplomatiques, des pressions israéliennes pour modifier les termes de l’accord de janvier 2025 – notamment en excluant la libération de prisonniers palestiniens supplémentaires – ont entravé les progrès. Les deux pays, qui ont négocié aux côtés des États-Unis un cessez-le-feu de 42 jours ayant permis la libération de 33 captifs israéliens et de 2 000 prisonniers palestiniens, se disent résolus à préserver leur crédibilité de médiateurs. Leur déclaration fustige également les attaques rhétoriques contre leur rôle, souvent orchestrées par des factions cherchant à prolonger le statu quo.
L’unité affichée à Doha entre l’Égypte et le Qatar dessine un horizon d’espoir pour Gaza et la Palestine, mais elle soulève une question brûlante : cette solidarité suffira-t-elle à contrer les vents contraires d’une realpolitik impitoyable ? Alors que le plan arabe de reconstruction promet une renaissance, les obstacles — veto israélien, frilosité financière des bailleurs, divisions palestiniennes — s’accumulent. Et si la véritable épreuve résidait moins dans les mots prononcés que dans les silences entourant les concessions nécessaires ? En condamnant le déplacement des Palestiniens, Sissi et Tamim posent un acte de principe, mais leur capacité à transformer cet élan en réalité tangible reste suspendue à une interrogation : le monde, si prompt à déplorer les tragédies, osera-t-il enfin soutenir une paix qui défie les intérêts des puissants ?