« Nous avons notre banque! » Malgré leurs conditions de vie précaires, les femmes du village agricole de Kôkôti-Kouamékro, en Côte d’Ivoire, exultent, car en finançant la scolarisation de leurs enfants, elles les détournent du travail dans les plantations de cacao.
Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, premier producteur mondial de cacao, de nombreuses familles agricoles vivent dans le dénuement, avec moins d’un dollar par jour. Une pauvreté qui contribue au travail des enfants.
L’Initiative internationale pour le cacao (ICI), une fondation suisse créée par l’industrie du chocolat pour lutter contre le travail des enfants dans la filière, avait identifié « 200 enfants travailleurs » sur 900 dans les plantations de Kôkôti-Kouamékro, un village de 2.000 habitants de la localité de Taabo, à 200 km d’Abidjan, célèbre pour son barrage hydraulique.
L’ICI a donc décidé de soutenir une trentaine de femmes, regroupées dans l’association « Bakpa-élai » (faire du bien à l’enfant, en baoulé) pour créer une cellule féminine de renforcement économique (Cefrec), une « banque », spécialisée dans l’épargne et le crédit et visant à la promotion de l’enfant.
Equipée par l’ICI en machettes, bottes et semences, les 30 femmes ont choisi d’épargner près d’un euro par personne, après la vente de la récolte des ignames, maniocs, maïs, et vivriers.
– Payer des ouvriers –
Cet argent a été regroupé dans la « banque » qui fonctionne avec trois « gardeuses de clé » (qui ont en leur possession la clé du coffre) pour réduire tout risque de malversations mais aussi des « compteuses » de billet. Les retardataires aux réunions hebdomadaires payent des amendes.
« Nous avons mobilisé en une année 3,8 millions de francs CFA (environs 6.000 euros), dépensé deux millions, avec un solde créditeur de 1,8 millions dans la caisse » se félicite Patricia Kouadio Amami, la présidente de l’Association, sanglée dans une robe multicolore, un foulard sur la tête.
« Grâce à notre banque, nous payons des ouvriers pour les travaux champêtres en lieu et place de nos enfants que nous utilisions auparavant. Une des nôtres a même pu acheter un ordinateur pour son fils étudiant », explique Mme Amani.
Malgré des pesanteurs socio-culturelles qui font du mari le chef de la famille, l’autonomisation des femmes de Kôkôti-Kouamékro, a connu un franc succès et le nombre d’adhérentes a doublé en un an.
« Je trouve les femmes formidables. Dans un passé récent on envoyait les enfants au champ. Depuis que les femmes ont créé cette association, tout s’est arrêté », confie Marcel Amani, planteur et notable de Kôkôti-Kouamékro. « Elles méritent notre respect ».
Les femmes ont aussi lancé des cours d’alphabétisation, mais surtout mis en place une cantine scolaire qui s’avère stratégique pour attirer les enfants.
– L’école comme alternative –
« Le taux d’assiduité a augmenté. La cantine contribue largement au maintien de l’enfant à l’école », se félicite Lou Horyphine Koffi, la directrice de l’école.
« Les femmes de Kôkôti-Kouamékro ont démontré qu’elles sont capables à travers des solutions endogènes de trouver des réponses à leurs problèmes » se félicite Euphrasie Aka, coordinatrice régionale Afrique de l’ouest et du centre pour l’ICI. « L’école est l’alternative au travail des enfants » martèle-t-elle.
Toutefois, la Côte d’Ivoire reste une importante destination régionale du trafic d’enfants en provenance des pays frontaliers. Les enfants y viennent pour travailler dans l’agriculture.
Quelque 1,2 million d’enfants ont été engagés dans la cacao culture en Côte d’Ivoire en 2013/2014, selon l’ICI.
« On va noter une augmentation de la problématique de façon absolue », explique Euphrasie Aka, qui annonce la publication en avril d’un nouveau rapport.
« Un nombre élevé de producteurs s’est accru sur la base de la hausse des cours du cacao (…), ce qui entraîne implicitement un nombre élevés d’enfants travailleurs », selon l’ICI.