Plus de quinze ans après les faits, un tribunal néerlandais tranchera mardi sur le volet principal de la tentaculaire affaire Ioukos, ancien groupe pétrolier dont les anciens actionnaires réclament 50 milliards de dollars à la Russie.
Accusée par les ex-actionnaires d’avoir orchestré le démantèlement de Ioukos pour des raisons politiques, la Russie avait été condamnée en 2014 par la Cour permanente d’arbitrage (CPA), juridiction internationale située à La Haye, à leur verser une indemnisation de 50 milliards de dollars (46 milliards d’euros), ce que le pouvoir russe a refusé.
Jugeant que la CPA n’avait pas compétence pour octroyer cette indemnisation, un tribunal néerlandais avait annulé son jugement en 2016, une décision contestée par les requérants qui espèrent avoir gain de cause mardi devant la Cour d’appel de la Haye.
Dirigée par l’oligarque et ennemi déclaré du Kremlin Mikhaïl Khodorkovski, arrêté en 2003 et libéré après une décennie de prison, la compagnie Ioukos a été accusée par Moscou de fraude fiscale et d’escroquerie de grande ampleur.
L’entreprise, alors premier producteur d’or noir de Russie, avait été placée en liquidation judiciaire en août 2006, à l’issue d’un procès retentissant largement considéré comme inspiré par le Kremlin pour contrecarrer les ambitions politiques de M. Khodorkovski.
Ioukos avait été vendu à la découpe en grande partie au groupe pétrolier public russe Rosneft. Cette entreprise, de taille modeste alors, est devenue grâce aux actifs du groupe démantelé un géant mondial, piloté par un homme de confiance de Vladimir Poutine, Igor Setchine.
Les anciens actionnaires tentent depuis d’obtenir une indemnisation de leurs pertes causées par la dissolution de Ioukos.
Une pierre angulaire du procès a été la question de la compétence de la CPA pour juger de la question et octroyer cette indemnisation, que le tribunal néerlandais lui a refusée en première instance.
– « Corruption », « agissements illégaux » –
La CPA avait basé sa décision sur le Traité sur la charte de l’énergie (TCE), qui protège les investissements internationaux dans les projets énergétiques.
« La Fédération de Russie a signé le TCE, mais ne l’a pas ratifié », avait assuré la justice néerlandaise en 2016, indiquant que les décisions de la CPA étaient donc « contraires à la loi russe ».
Une autre des questions se posant « a trait aux circonstances de prise de contrôle de Ioukos par les oligarques russes aux cours de sa privatisation en 1995 et 1996 », a indiqué à l’AFP Andrea Pinna, avocat de la Russie.
Dans la foulée de la chute de l’URSS, des hommes d’affaires peu scrupuleux ont amassé des fortunes immenses et des empires influents en acquérant pour des sommes très réduites les actifs soviétiques, en particulier dans le secteur des matières premières, alors que le pays était plongé dans une crise profonde et que la population glissait dans la pauvreté. Parmi eux, M. Khodorkovski.
« La Russie estime que l’acquisition de Ioukos n’a été possible que par corruption et autres agissements illégaux », affirme Me Pinna, soulignant qu’il ne s’agit « pas d’un dossier politique, mais d’un dossier purement juridique qui a un enjeu financier de 50 milliards de dollars ».
Me Emmanuel Gaillard, qui représente les anciens actionnaires, affirme pour sa part à l’AFP que « la Russie déploie des efforts de diplomatie considérables pour tenter de discréditer les acteurs de l’affaire ».
« Leur stratégie est de tout déformer pour tout compliquer, pour faire oublier la plus grande expropriation du XXIe siècle », regrette-t-il.
Arrêté en 2003, M. Khodorkovski a été libéré en décembre 2013 à la suite d’une grâce accordée par le président russe, et vit depuis en exil. Son associé, Platon Lebedev, a quant à lui passé plus de 10 ans en prison, suite à des procès dénoncés par les défenseurs des droits de l’Homme.
L’affaire Ioukos est largement considérée comme le moment où Vladimir Poutine a mis au pas les grands oligarques russes dont l’influence sur le système politique a connu son apogée sous Boris Eltsine.
Quelle que soit l’issue de l’appel mardi, l’affaire devrait se poursuivre devant la Cour de cassation néerlandaise.