Elle a cru le régime iranien capable de changer mais aujourd’hui ne le pense plus. A la veille de législatives dans son pays, Shaparak Shajarizadeh, militante en exil des droits des femmes iraniennes, appelle ses concitoyens à ne pas voter.
« J’ai fait partie de ceux qui avaient des espoirs de changement, mais aujourd’hui nous n’avons le choix qu’entre deux maux », estime-t-elle dans un entretien à l’AFP à Genève.
Les réformateurs et les conservateurs, censés offrir un choix politique aux électeurs de la république islamique, « ne sont que les deux faces de la même pièce », estime, désabusée, Shaparak Shajarizadeh, 44 ans.
En conséquence, elle fait « campagne pour demander aux gens de ne pas aller voter ». Les Iraniens « ont perdu tout espoir », notamment depuis la répression sanglante l’an dernier d’une contestation née d’une hausse du prix de l’essence, estime-t-elle.
De fait, les invalidations massives de candidatures réformatrices et modérées risquent de transformer le scrutin de vendredi en un affrontement entre conservateurs et ultra-conservateurs.
Elle avait pourtant cru aux promesses de changement du réformateur Mohammad Khatami, président de 1997 à 2005, avant que ses espérances ne s’évanouissent.
Aujourd’hui, elle préfère qualifier le président Hassan Rohani, élu en 2013 et réélu en 2017 pour un dernier mandat de quatre ans, de « soi-disant réformateur ». Et ne se prive pas de traiter de « menteur » celui que nombre de chancelleries considèrent pourtant comme un pragmatique et un fragile rempart face à l’aile la plus dure du régime.
De passage en Suisse, elle a reçu mardi un prix remis par le Geneva Summit for Human Rights and Democracy, organisé par 25 ONG, pour sa défense des droits des femmes en Iran, une cause pour laquelle elle a été « emprisonnée, battue et brutalisée ».
La vie de celle qui se définit comme une « femme ordinaire, qui ne faisait pas de politique » a basculé en 2018, quand elle est arrêtée à plusieurs reprises et détenue pour s’opposer au port du voile islamique.
Son crime: être descendue dans la rue cheveux au vent, son foulard au bout d’un bâton. Son combat devient alors celui de celles que l’on appelle « les filles de la rue de la Révolution », du nom d’une grande artère de Téhéran, opposées à l’obligation de cacher leur chevelure en public.
– « Ils font ce qu’ils veulent » –
« Dans le tribunal, on ne vous laisse même pas parler à votre avocat, on ne fait que vous réciter des accusations inventées et on vous jette en prison. Ils font ce qu’ils veulent », raconte-t-elle.
Elle choisit alors de s’enfuir en traversant à pied la frontière montagneuse avec la Turquie, la tête couverte pour ne pas attirer l’attention.
Elle vit aujourd’hui au Canada, à Toronto, avec son mari et leur fils de 11 ans, d’où elle continue à militer activement pour les droits des Iraniennes. A commencer par celui d’enlever le foulard imposé aux femmes par le régime islamiste, issu de la révolution khomeyniste de 1979.
Désormais figure de la contestation féministe, elle apparaît en 2018 dans une liste des 100 femmes les plus influentes du monde réalisée par la BBC.
Elle témoigne de son combat dans un livre, « La liberté n’est pas un crime » (ed. Plon), écrit avec la journaliste canadienne Rima Elkouri, et enchaîne témoignages, interviews et conférences.
Son avocate, Nasrin Sotoudeh, porte-voix de la contestation et des droits des femmes en Iran, lauréate du Prix Sakharov du Parlement européen en 2012, est aujourd’hui en prison.
Pour changer le cours des choses en Iran, Shaparak Shajarizadeh prône des « sanctions ciblées » contre les responsables du régime, mais épargnant la population déjà éprouvée par une situation économique désastreuse, aggravée par l’embargo total décrété par les Etats-Unis.
« Il faut viser des personnes précises, pas alourdir encore les difficultés du peuple », souligne-t-elle.
Mais pour elle, ce sont surtout les mouvements issus de la société civile, en particulier la mobilisation contre le code vestimentaire islamique imposé aux femmes, qui feront bouger le pays.
« Les vraies héroïnes, ce sont les femmes qui refusent de porter le foulard », assure-t-elle.