Séoul, 24 mars 2025 – Dans un tournant décisif pour la Corée du Sud, engluée depuis quatre mois dans une crise politique sans précédent, la Cour constitutionnelle a rejeté, ce lundi, la motion de destitution visant le Premier ministre Han Duck-soo. Par un vote de cinq contre un, la juridiction a tranché en faveur de celui qui retrouve ainsi son rôle de président par intérim, alors que le pays attend avec anxiété le jugement imminent sur la destitution du président Yoon Suk-yeol. « La Cour constitutionnelle a décidé de rejeter la procédure en destitution contre le Premier ministre Han Duck-soo », a déclaré la cour dans un communiqué dont la décision, sans appel, marque une nouvelle étape dans ce feuilleton politique tumultueux.
Préorigine d’une crise : le coup de force de Yoon Suk-yeol
Tout a commencé dans la nuit du 3 au 4 décembre 2024, lorsque le président Yoon Suk-yeol, ancien procureur vedette devenu figure conservatrice controversée, a stupéfié la nation en proclamant la loi martiale. Arguant de la nécessité de protéger le pays contre des « forces anti-étatiques » et invoquant la menace nord-coréenne, il a déployé l’armée autour de l’Assemblée nationale dans une tentative manifeste de museler le pouvoir législatif. Mais cette initiative, qui évoquait les heures sombres de l’ère autoritaire sud-coréenne, s’est heurtée à une résistance immédiate. Malgré l’encerclement militaire, un nombre suffisant de députés a réussi à se réunir et a voté à l’unanimité pour exiger le retour à l’ordre constitutionnel. Contraint par la loi fondamentale, Yoon a dû céder et lever la loi martiale en quelques heures seulement.
Le 14 décembre, l’Assemblée nationale, indignée par cette atteinte à la démocratie, a adopté une motion de destitution contre le président, le suspendant de ses fonctions. Han Duck-soo, alors Premier ministre, a pris la tête de l’exécutif en tant que président par intérim, conformément à la Constitution. Cependant, son intérim a été de courte durée : le 27 décembre, les parlementaires, dominés par l’opposition, ont voté une nouvelle motion de destitution à son encontre, l’accusant d’entraver les procédures judiciaires contre Yoon Suk-yeol. Au cœur des reproches : son refus de nommer de nouveaux juges pour combler les trois sièges vacants à la Cour constitutionnelle, une décision perçue comme une manœuvre pour protéger le président suspendu.
Un intérim chaotique et un retour inattendu
La suspension de Han Duck-soo a conduit à une nouvelle passation de pouvoir, le ministre des Finances, Choi Sang-mok, assumant alors les fonctions de président par intérim. Pendant trois mois, la Corée du Sud a navigué dans une instabilité croissante, marquée par des tensions entre les institutions et une polarisation politique exacerbée. Mais ce lundi, la Cour constitutionnelle a mis fin à cette période d’incertitude en rétablissant Han Duck-soo dans ses fonctions. Avec seulement six juges siégeant sur les neuf prévus – en raison des postes vacants non pourvus –, la décision, prise à une majorité de cinq voix contre une, souligne la fragilité du système judiciaire dans ce contexte de crise.
Ce rétablissement intervient alors que la même cour doit encore statuer sur le sort de Yoon Suk-yeol. Avec trois sièges vacants, les six juges actuels devront voter à l’unanimité pour confirmer la destitution définitive du président ; à défaut, celui-ci pourrait être réintégré, une perspective qui divise profondément la société sud-coréenne. L’opposition, emmenée par le Parti démocrate, avait dénoncé l’inaction de Han Duck-soo sur les nominations judiciaires comme une tentative de biaiser ce processus crucial, rendant son retour à la tête de l’exécutif d’autant plus controversé.
La Corée du Sud :une démocratie sous tension
Depuis décembre, la Corée du Sud vit au rythme d’une crise qui met à rude épreuve ses institutions démocratiques. L’initiative de Yoon Suk-yeol a ravivé le spectre des dictatures militaires du passé, tandis que la réponse rapide et ferme de l’Assemblée nationale et de la justice a démontré la robustesse du cadre constitutionnel. Pourtant, la succession d’impeachments, dont celui de Han Duck-soo, le premier visant un président par intérim dans l’histoire du pays, et les querelles autour de la Cour constitutionnelle révèlent des fractures profondes. L’opposition accuse le camp conservateur de vouloir saper la démocratie, tandis que les soutiens de Yoon dénoncent une chasse aux sorcières orchestrée par ses adversaires politiques.
Le retour de Han Duck-soo, loin de clore le chapitre, soulève de nouvelles interrogations. Saura-t-il apaiser les tensions et restaurer la confiance dans un gouvernement intérimaire chahuté ? Ou son refus persistant de nommer des juges supplémentaires compromettra-t-il davantage la légitimité de la décision à venir sur Yoon Suk-yeol ? Alors que le pays retient son souffle en attendant ce verdict, qui pourrait soit conduire à une élection anticipée, soit ramener un président discrédité au pouvoir, l’incertitude domine.
Vers un avenir incertain
En réinstallant Han Duck-soo comme président par intérim, la Cour constitutionnelle a peut-être offert une pause dans la tempête, mais elle n’a pas dissipé les nuages qui s’amoncellent au-dessus de la Corée du Sud. Le jugement imminent sur Yoon Suk-yeol sera un moment décisif : un rejet de sa destitution pourrait enflammer les divisions, tandis qu’une confirmation ouvrirait une nouvelle page électorale dans un climat de méfiance généralisée. Dans ce pays qui a su, par le passé, transformer des crises en opportunités de renforcement démocratique, la question demeure : cette épreuve sera-t-elle un sursaut salutaire ou le prélude à une instabilité plus durable ? Seule l’histoire, désormais en marche, apportera la réponse.