Mhamid el Ghizlane, le 26 mars 2025 – Un frisson d’inquiétude parcourt les étendues arides du sud-est marocain. Dans la région de Mhamid el Ghizlane, aux confins du désert, une nuée de criquets pèlerins, surgie des vastes territoires algériens, a jeté une ombre menaçante sur les cultures fragiles de cette oasis. Ces envahisseurs voraces, dont les ailes bruissent comme un présage funeste, ont mis le Maroc en état de vigilance extrême, réveillant les souvenirs d’anciennes calamités agricoles. Classés par la FAO parmi les fléaux les plus ravageurs que la terre ait portés, ces insectes, dans leur appétit insatiable, ne laissent derrière eux qu’un sillage de désolation, dépouillant les champs de toute vie verte.
Face à cette marée ailée, le Centre national de lutte antiacridienne (CNLA) a dépêché une escouade d’experts sur le terrain, tels des sentinelles veillant sur un royaume assiégé. Leur mission, aussi périlleuse qu’essentielle, consiste à scruter l’horizon, à sonder les intentions de ces hordes migratoires et à dresser un rempart contre une invasion qui pourrait engloutir les récoltes du sud-est. À Mhamid el Ghizlane, où la terre aride dispute chaque goutte d’eau aux cieux, les agriculteurs retiennent leur souffle, conscients que leur subsistance repose sur l’agilité de cette riposte.
Une menace aux ailes d’acier
Le criquet pèlerin, Schistocerca gregaria pour les savants, n’est pas un simple insecte : c’est une force de la nature, un tourbillon vivant capable de dévorer en un jour l’équivalent de son poids – soit deux grammes par individu. Multiplié par des millions, cet appétit devient une apocalypse végétale. Un essaim d’un kilomètre carré, selon les estimations de la FAO, peut engloutir en une seule journée de quoi nourrir 35 000 âmes humaines. Or, les nuées repérées à la frontière algéro-marocaine ne se contentent pas de survoler : elles s’abattent, pillent et repartent, laissant les champs nus comme après un siège.
Par ailleurs, les vents du désert, capricieux complices, ont porté ces intrus depuis les régions méridionales de l’Algérie, où des foyers de reproduction ont échappé à un contrôle rigoureux. Des publications sur X signalent une mobilisation tardive côté algérien, certains accusant un manque de pulvérisations aériennes pour endiguer la prolifération. Pendant ce temps, au Maroc, le CNLA ne ménage pas ses efforts. Des équipes scrutent les dunes, des avions Canadair, d’ordinaire réservés aux flammes estivales, se tiennent prêts à déverser des nappes d’insecticide, et des stratégies s’échafaudent pour protéger les oasis de Tata, Errachidia et Tinghir, voisines de la zone menacée.
Une lutte ancestrale dans un monde moderne
Cette bataille n’est pas nouvelle. Le Maroc, terre de résilience, a affronté ces vagues acridiennes à travers les siècles, des invasions de 1987-1989 qui engloutirent cinq millions d’hectares aux alertes plus récentes de 2016 et 2023. Mais aujourd’hui, le défi se teinte d’une urgence accrue : le changement climatique, avec ses pluies imprévisibles et ses chaleurs extrêmes, offre aux criquets des conditions idéales pour pulluler. La FAO, dans ses bulletins, ne cesse de le marteler : humidité et densité sont les étincelles qui transforment ces solitaires en légions grégaires, prêtes à tout balayer.
À Mhamid el Ghizlane, les habitants oscillent entre fatalisme et espoir. Les anciens racontent comment jadis, on accueillait le criquet avec une résignation mêlée de pragmatisme, certains le grillant même pour en faire un mets croquant. Mais ce temps est révolu. Désormais, c’est une guerre technologique qui se joue, où drones, satellites et pesticides s’érigent en remparts contre l’instinct primal de ces conquérants ailés.
Mhamid el Ghizlane dans l’incertitude
Pourtant, au-delà des champs en péril, une question émane dans les vents sableux : et si cette lutte, aussi héroïque soit-elle, n’était qu’un pansement sur une plaie plus vaste ? Car, tandis que le Maroc brandit ses armes contre l’envahisseur, l’Algérie, d’où souffle ce fléau, reste un mystère. Sans une harmonie régionale, sans un pacte transcendant les frontières pour juguler ces nuées à leur source, le royaume ne fait-il que repousser l’inéluctable ?