Quelque 58 millions d’Iraniens sont appelés à élire un nouveau Parlement vendredi pour un scrutin où les conservateurs partent favoris, portés par un ressentiment populaire contre le président modéré Hassan Rohani, alimenté entre autres par la crise économique.
La onzième législature à sortir des urnes depuis la révolution islamique de 1979 commencera son travail dans un contexte de tensions exacerbées entre Téhéran et Washington, et alors que l’Iran traverse une violente récession.
Les élections se tiennent aussi près d’un mois et demi après que les forces armées iraniennes eurent abattu « par erreur » un avion de ligne ukrainien, drame qui a ajouté à la défiance de la population vis-à-vis des autorités.
Les autorités civiles ont nié toute responsabilité avant que l’état-major ne reconnaisse sa responsabilité trois jours après le drame.
Cet aveu tardif a provoqué des manifestations antipouvoir, limitées, faisant voler en éclats l’apparence d’unité nationale manifestée quelques jours plus tôt à l’occasion des funérailles du général iranien Qassem Soleimani, tué par une frappe américaine en Irak le 3 janvier.
A Téhéran, nombre d’habitants ont fait part à l’AFP de leur refus d’aller voter.
Pour Amir Mohtasham, 38 ans, au chômage depuis deux ans, « ces élections sont vaines ». « Je ne fais confiance ni aux conservateurs, ni aux réformateurs ».
– « Sans mon vote » –
Mieux loti, Mohammad, marchand de tapis âgé de 30 ans, dit avoir « voté pour Rohani avec un rêve ». « Mais on n’a rien accompli [et] il y a trop de mensonges », ajoute-t-il : « Si voter c’est légitimer, alors ce sera sans mon vote ».
Figure réformatrice, Sadeq Zibakalam, professeur à l’université de Téhéran, notait jeudi dans le journal Armân que « le changement attendu n’a pas eu lieu ».
La disqualification de milliers de candidats réformateurs et modérés réduit pratiquement le scrutin à un affrontement entre conservateurs et ultraconservateurs et pourrait alimenter l’abstention.
En fonction du poids des ultras dans la future Assemblée, la politique extérieure d’ouverture, poursuivie par M. Rohani depuis son élection en 2013, pourrait changer.
Les ultraconservateurs s’opposent à toute négociation avec l’Occident, et critiquent régulièrement ce qu’ils estiment être la passivité de M. Rohani face aux menaces du président américain Donald Trump.
Et ils sont impatients de sortir de l’accord international sur le nucléaire iranien, la grande réalisation de M. Rohani, conclu en 2015 à Vienne, mais menacé d’implosion depuis que M. Trump l’a dénoncé unilatéralement en 2018.
Dans l’esprit de M. Rohani, l’accord de Vienne devait ouvrir une ère de prospérité pour l’Iran en le sortant de son isolement international.
Au lieu de cela, le retour des sanctions américaines dans la foulée du retrait des Etats-Unis de l’accord a plongé l’Iran dans une violente récession.
Plusieurs figures réformatrices ont mis en garde contre une victoire des ultraconservateurs en cas de forte abstention.
L’ayatollah Ali Khamenei, Guide suprême de la République islamique, a appelé à une participation massive pour déjouer les « complots vicieux » des Etats-Unis et d’Israël contre l’Iran. « Voter […] est un devoir religieux », a-t-il encore affirmé mardi.
Depuis mercredi, la télévision diffuse une multitude d’appels à voter de responsables politiques ou d’ayatollahs.
– Bulletins torpilles –
Un court dessin animé diffusé plusieurs fois par jour montre les bulletins de vote se transformer comme autant de torpilles contre une flotte d’envahisseurs, envoyée par le fond.
L’abstention « augmentera la possibilité d’une agression militaire », a déclaré sur Twitter Hesameddine Achéna, proche conseiller de M. Rohani, en appelant les Iraniens à voter même s’ils ne sont pas contents du gouvernement.
Après les disqualifications massives par le Conseil des gardiens, organe aux mains des conservateurs chargé du contrôle des élections, moins de 7.200 candidats se retrouvent en lice pour briguer les 290 sièges du Parlement, selon le ministère de l’Intérieur.
Washington a annoncé jeudi des sanctions financières – essentiellement symboliques – contre cinq responsables du Conseil de gardiens, dénonçant « la manipulation des élections pour favoriser l’agenda pernicieux du régime ».
La participation aux dix dernières élections a atteint en moyenne 60,5%, selon l’Intérieur.
Le porte-parole du Conseil des gardiens, Abbas Ali Kadkhodaï, a jugé mercredi qu’une participation inférieure à 50% ne poserait « pas de problème pour la démocratie ».
Les bureaux de vote doivent ouvrir à 08h00 (04h30 GMT) et fermer à 18h00, mais la durée du scrutin est souvent prolongée, notamment à Téhéran.