Chargée des fouilles qui ont déjà permis de retrouver les ossements de plus de 6.000 victimes des massacres interethniques de 1972 au Burundi, la Commission vérité et réconciliation (CVR) est accusée de s’immiscer par ce biais dans la campagne pour l’élection présidentielle de mai.
L’excavation fin janvier et début février de six fosses communes situées au bord de la rivière Ruvubu, à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Gitega (centre), la nouvelle capitale administrative du pays, a permis d’exhumer les ossements de 6.032 victimes, selon la CVR.
Mais la Ruvubu est loin d’avoir livré tous ses secrets. Une seconde phase de fouilles, qui devrait durer au moins deux semaines, a commencé lundi sur le même site, a indiqué à l’AFP le président de la CVR, Pierre-Claver Ndayicariye.
« Il y a deux (autres) fosses communes confirmées, et nous en avons dix renseignées mais pas encore vérifiées », a-t-il précisé, ajoutant que « des témoins parlent d’autres fosses communes plus loin dans des champs de maïs ».
A sa création en 2014, la commission avait été mise en place pour établir la vérité sur les massacres interethniques ayant frappé le Burundi depuis son indépendance en 1962 jusqu’au 4 décembre 2008, date supposée de la fin de la violence armée dans le pays.
Le Burundi a connu une série de massacres interethniques, qui ont culminé en 1972, et de coups d’Etat, prémices à une longue guerre civile (1993-2006) ayant opposé des rebelles hutu à l’armée, dominée par la minorité tutsi, et fait plus de 300.000 morts.
En janvier, la CVR avait annoncé avoir identifié 142.505 personnes tuées ou portées disparues dans les différentes tragédies qui ont endeuillé le Burundi depuis 1962, et recensé à ce jour plus de 4.000 fosses communes de différentes tailles à travers tout le pays.
– « Enquête approfondie » –
D’après les témoignages recueillis par la commission, les victimes de la Ruvubu « étaient acheminées de la prison de Gitega par camion chaque nuit en mai et juin 1972 », ainsi que des communes environnantes.
Des témoins ont affirmé à l’AFP qu’il s’agissait de membres de l’élite hutu, victimes de la terrible répression menée par le pouvoir tutsi de l’époque, qui a fait entre 100.000 et 300.000 morts selon des associations militant pour la reconnaissance du « génocide hutu de 1972 ».
Mais « ce n’est pas à la CVR de vous dire à ce stade si les victimes sont des Hutu ou des Tutsi, ce sont des Burundais en premier lieu », a affirmé M. Ndayicariye, ajoutant qu’elle doit d’abord mener « une enquête approfondie » pour identifier les victimes et les responsables.
Derrière cette apparente prudence verbale, ce dernier est cependant accusé de manier un double langage par l’opposition et la société civile, qui reprochent à la CVR d’être instrumentalisée par le pouvoir actuel à l’approche de l’élection présidentielle.
« La CVR cible volontairement des fosses communes qu’elle déclare être celles de victimes hutu, alors que tout le monde sait qu’il y a eu une hécatombe de Tutsi en 1993 dans la province de Karusi », proche du lieu des fouilles actuelles, dénonce Emmanuel Nkurunziza, président de la section canadienne de l’organisation AC-génocide Cirimoso.
« La CVR participe ainsi à la campagne électorale du pouvoir CNDD-FDD qui a toujours caressé la fibre ethnique pour rallier à sa cause la majorité hutu », ajoute cet activiste exilé au Canada.
– « Aucune crédibilité » –
Le CNDD-FDD, parti du président burundais Pierre Nkurunziza, au pouvoir depuis 2005 et qui ne se représentera pas en mai, est issu de l’ancienne principale rébellion hutu lors de la guerre civile. Les Hutu représentent 85% de la population du Burundi, contre 14% pour les Tutsi.
Vital Nshimirimana, l’une des figures de la société civile burundaise qui a fui en exil, dénonce « un travail d’exhumation sommaire, des conclusions hâtives sur les victimes et les auteurs sans aucune enquête approfondie ».
Lui aussi estime que la CVR, au service du pouvoir, essaie de « manipuler la vérité (…) pour pouvoir reconnaître officiellement qu’il y a eu un génocide de Hutu en 1972 ».
La CVR est constituée presque exclusivement de membres du CNDD-FDD. Et M. Ndayicariye est l’ancien président de la commission électorale lors des élections controversées de 2010 et 2015.
La présidentielle de 2010 avait été boycottée par l’opposition et la candidature du président Nkurunziza à un troisième mandat controversé en avril 2015, puis sa réélection en juillet de la même année, ont plongé le Burundi dans une crise politique majeure, accompagnée de violences ayant fait au moins 1.200 morts.
« La CVR actuelle ne jouit d’aucune crédibilité ni d’aucune indépendance, parce qu’elle est constituée de militants très zélés » du CNDD-FDD, estime Chauvineau Mugwengezo, le président exilé en Belgique de la CFOR-Arusha, un collectif de partis d’opposition.
La commission, abonde-t-il, « est instrumentalisée pour des raisons électoralistes au risque de raviver la haine ethnique au Burundi ».