Niamey, 10 février 2025 — En cette aube de refondation nationale, où le Niger tente de sculpter son avenir sur l’enclume de la transition, l’ONG ICON – NIGER STOP CORRUPTION dresse un constat implacable : les fondations de l’édifice institutionnel s’effritent sous le rongement silencieux de l’opacité. En effet, dans une missive adressée au Président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), l’organisation déploie une cartographie minutieuse des brèches législatives et des dérives systémiques qui menacent de réduire à néant les promesses de renouveau.
L’ordonnance N 2024-05 : une porte dérobée ouverte aux abus
Au cœur du réquisitoire, un texte juridique cristallise les inquiétudes : l’ordonnance du 23 février 2024. En exemptant les dépenses des Forces de défense, du Palais présidentiel et des résidences officielles de tout contrôle préalable ou a posteriori, ce dispositif législatif opère un recul paradoxal. Par ailleurs, tel un sas ouvert aux flux opaques, il suspend les garde-fous essentiels à la gestion vertueuse des deniers publics. Les experts y décèlent un risque de « budgétisation parallèle », où l’argent de la nation s’écoulerait hors du regard citoyen, alimentant un système de dépenses fantômes.
La COLDEF : un glaive émoussé
L’analyse pointe ensuite le dévoiement progressif de la Coordination de lutte contre la drogue, l’économie et le financement du terrorisme (COLDEF). Initialement conçue comme un rempart contre la corruption, l’institution aurait progressivement troqué sa vocation répressive contre une logique de recouvrement financier. L’article 22 de son ordonnance de création, accusé de limiter son indépendance opérationnelle, symbolise cette métamorphose inquiétante. Une évolution qui transformerait, selon les termes de l’ONG, « un instrument de justice en comptable complaisant ».
L’Arrêté N°0018/PM/ARCOP : des obligations publiques en suspens
Plus percutant encore, le rapport souligne le non-respect flagrant de l’article 13 de l’arrêté réglementant les marchés publics. Alors que ce texte exige la publication systématique de données clés (montant, délais, attributaires), la pratique actuelle cultiverait un « jardin secret administratif ». L’argument du « secret défense », brandi comme un bouclier universel, serait détourné pour masquer des transactions potentiellement litigeuses. En plus, l’affaire « MDN Gate », scandale récent impliquant des surfacturations dans les achats militaires, sert ici de cas d’école : preuve que l’ombre nourrit plus souvent la fraude qu’elle ne protège la sécurité.
Sept piliers pour une refondation selon l’ONG ICON
Face à ce diagnostic sévère, l’ONG esquisse une feuille de route en sept impératifs :
- Révision des mécanismes de contrôle : instaurer des organes indépendants dotés de pouvoirs investigatifs étendus.
- Réhabilitation de la COLDEF : abrogation de l’article 22 et octroi de moyens coercitifs.
- Abrogation de l’ordonnance N 2024-05 : rétablissement du double contrôle (a priori/a posteriori) sur toutes les dépenses étatiques.
- Transparence sectorielle : publication exhaustive des budgets sécuritaires, sous réserve de cadres légaux stricts.
- Application stricte de l’article 13 : automatisation des publications avec sanctions pour manquements.
- Restauration de la Cour des comptes : garantie d’un audit permanent des finances publiques.
- Audits externes systématiques : recours à des cabinets internationaux pour évaluer les marchés publics.
L’ONG ICON : Une alerte pédagogique
Ce plaidoyer dépasse la simple dénonciation : il se mue en manuel de restauration institutionnelle. Chaque recommandation s’articule comme un chapitre d’un traité de bonne gouvernance, rappelant que la lutte contre la corruption n’est ni une option politique ni une variable d’ajustement, mais un préalable biologique à la santé démocratique. L’ONG y rappelle, chiffres à l’appui, que les États africains perdent annuellement entre 20 et 40 % de leurs budgets à travers ces failles systémiques – une hémorragie que le Niger ne peut plus se permettre.
L’heure des choix structurants
Alors que le pays s’apprête à tourner la page de la transition, cette lettre ouverte fonctionne comme un test de résistance éthique. Acceptera-t-on de reconstruire les murs de la transparence pierre par pierre, ou laissera-t-on les intérêts opaques cimenter les fondations du futur État ? La réponse déterminera si le Niger deviendra un laboratoire de renaissance institutionnelle… ou un énième cas d’étude sur l’échec des transitions.
La balle est désormais dans le camp du pouvoir. L’histoire jugera à l’aune des réformes concrètes.