L’Union européenne a dépêché mardi en urgence de hauts responsables en Turquie pour protester contre sa décision de laisser passer les migrants, et a exprimé sa solidarité avec la Grèce voisine confrontée à un afflux à sa frontière.
Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell et le commissaire européen à la Gestion des crises Janez Lenarcic doivent effectuer une visite de deux jours à Ankara pour des discussions « à haut niveau » sur la situation en Syrie, selon Bruxelles.
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui s’est rendue en Grèce à Kastanies, à la frontière turque, a pour sa part durci le ton.
« Ceux qui cherchent à tester l’unité de l’Europe seront déçus », a-t-elle déclaré, au côté du Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis.
Le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian a jugé de son côté « inacceptable » mardi le « chantage » d’Ankara.
Des dizaines de milliers de personnes ont afflué vers la Grèce depuis que le président Recep Tayyip Erdogan a ordonné, vendredi, l’ouverture des frontières de son pays, réveillant en Europe la crainte d’une crise migratoire similaire à celle de 2015.
Mme von der Leyen, le président du Conseil Charles Michel et le dirigeant du Parlement européen David Sassoli se sont rendus en Grèce mardi en signe de solidarité.
Des responsables européens et des ONG accusent Ankara d’instrumentaliser les migrants pour faire « chanter » l’Europe et obtenir davantage d’appui, au moment où la Turquie est confrontée à ses frontières à un afflux de déplacés en Syrie où elle mène une offensive.
– Miradors –
Mardi, plusieurs milliers de migrants étaient toujours massés à la frontière grecque, fermée à double tour.
Campant dans des tentes de fortune bricolées avec des bâches à proximité du poste-frontière de Pazarkule (Kastanies, côté grec), certains attendent une hypothétique ouverture des portes grecques.
D’autres marchaient le long des eaux glacées du fleuve frontalier Evros à la recherche d’une faille dans le dispositif grec, et quelques barques au moteur pétaradant faisaient la navette entre les deux rives.
Mohammed Yasin, un Syrien âgé de 22 ans originaire d’Alep, indique à l’AFP qu’il a été renvoyé côté turc après avoir été intercepté par les garde-frontières grecs.
« Ils ont pris mon téléphone, mon argent et même mes chaussures », dit-il. « Je voulais aller en Allemagne ou un autre pays européen ».
Sur la rive grecque, des garde-frontières cagoulés et armés de fusils patrouillaient le long du fleuve, pendant que d’autres surveillaient la zone à la jumelle du haut d’un mirador.
Lundi, M. Erdogan a affirmé que « des millions » de migrants allaient « bientôt » submerger l’Europe, affirmant que chacun devra « prendre sa part du fardeau ».
– « Tester l’Europe »
Pour le moment, loin des chiffres évoqués par le président turc, plusieurs milliers de personnes tentaient de rejoindre la Grèce par la voie terrestre ou par la mer en gagnant les îles égéennes.
Entre samedi et lundi soir, « 24.203 tentatives d’entrées illégales ont été évitées, 183 personnes ont été arrêtées », selon le gouvernement grec.
Mme von der Leyen a promis mardi à la Grèce « 700 millions d’euros », dont la moitié immédiatement, pour gérer la nouvelle vague migratoire, et a assuré qu’Athènes recevrait « toute l’aide nécessaire ».
A la frontière, la situation fait les affaires des passeurs. « C’est désormais une activité autorisée (…) Je vois cela comme mon devoir », explique à l’AFP l’un d’eux, qui dit s’appeler Semih.
– Soutien américain –
La décision prise par la Turquie d’ouvrir ses frontières intervient au moment où Ankara, qui a déclenché une offensive majeure contre le régime syrien après avoir essuyé de lourdes pertes, cherche à obtenir un appui occidental.
Mardi, la Turquie a annoncé avoir abattu un avion du régime, le troisième depuis dimanche, dans le cadre de son opération baptisée « Bouclier du Printemps » qui se déroule dans la province d’Idleb (nord-ouest).
Ces affrontements se produisent à deux jours d’une rencontre cruciale à Moscou entre M. Erdogan et le président russe Vladimir Poutine, dont le pays appuie militairement le régime de Bachar al-Assad. Ankara espère arracher une trêve lors de ces discussions.
En dépit de leurs intérêts divergents dans ce conflit qui a fait plus de 380.000 morts depuis 2011, Moscou et Ankara ont renforcé leur coopération ces dernières années. Mais la situation à Idleb a tendu leurs rapports.
L’offensive que mène depuis décembre le régime dans ce dernier bastion rebelle et jihadiste en Syrie a provoqué une catastrophe humanitaire, avec près d’un million de personnes déplacées.
Une délégation américaine, dont le représentant spécial des Etats-Unis pour la Syrie James Jeffrey et l’ambassadrice américaine à l’ONU Kelly Craft, s’est rendue mardi à la frontière entre la Turquie et la Syrie, en signe de solidarité avec Ankara.