Niamey,4 février 2025 – Dans un geste à la symbolique aussi dense que le béton qui va désormais structurer l’avenir éducatif nigérien, le Premier ministre Ali Mahaman Lamine Zeine a inauguré, ce mardi, un chantier titanesque destiné à hisser l’Université Abdou Moumouni (UAM) au rang de phare académique régional. En effet, ce projet, d’une envergure sans précédent, se déploie sur 20 hectares et s’articule autour de deux piliers : un campus académique conçu comme une agora du savoir et un campus social érigé en citadelle estudiantine.
L’UAM :Un édifice du savoir aux proportions monumentales
La première composante, dédiée à l’enseignement, prévoit la construction d’amphithéâtres capables d’accueillir une marée cognitive de 5 000 étudiants répartis en cinq structures : deux colosses de 2 000 places, un de 1 000 et deux autres de 500 places chacun. À ces espaces dédiés aux échanges intellectuels s’ajoutent deux laboratoires pédagogiques, véritables creusets d’innovation. La seconde composante, orientée vers la vie étudiante, ambitionne de loger 1 200 étudiants dans quatre dortoirs, avec une extensibilité ingénieuse permettant de doubler cette capacité. Un restaurant de 500 couverts, accompagné d’annexes fonctionnelles, complète ce tableau d’une cité universitaire autosuffisante.
Un héritage relancé dans l’ombre d’un putsch
L’ironie de l’histoire, ce projet attribué en juin 2023 sous l’ère Bazoum à l’entreprise malienne BUILDERS S.A du magnat Ibrahim Diawara avait été interrompu net par le coup d’État du 26 juillet 2023. Le contrat initial, d’un montant de 36,8 milliards de FCFA pour 36 mois de travaux, s’inscrivait déjà dans un programme global dépassant les 100 milliards de FCFA. Aujourd’hui, le gouvernement de transition, bien que né d’une rupture institutionnelle, reprend le flambeau, signant une continuité paradoxale dans un paysage politique ébranlé.
BUILDERS S.A : Le bâtisseur malien au défi nigérien
Dirigée par Ibrahim Diawara, cette entreprise panafricaine, déjà auréolée de projets structurants dans la sous-région, incarne une forme de soft power économique malien. Son rôle clé dans ce chantier interroge autant qu’il impressionne : comment une firme étrangère parvient-elle à incarner les ambitions éducatives d’un Niger en quête de souveraineté intellectuelle ? Les critiques, étouffées par l’urgence des besoins infrastructurels, soulèvent néanmoins des questions sur la préférence nationale.
Entre héritage et renaissance : L’UAM, miroir des contradictions
La cérémonie de lancement, sobre, mais empreinte de solennité, a permis à Zeine d’esquisser une rhétorique d’unité nationale. « Ces murs ne seront pas seulement des abris pour l’esprit, mais les fondations d’une jeunesse apte à relever les défis du siècle », a-t-il déclaré, évitant soigneusement toute référence à l’ancien régime. Pourtant, l’ombre de Bazoum plane sur ce projet dont il fut l’initiateur, rappelant que les réalisations futures se nourrissent souvent des visions passées, même contestées.
Un chantier sous haute tension socio-politique
Alors que les pelleteuses s’activent sur le site, les enjeux dépassent le simple cadre académique. Ce projet, perçu comme un test de légitimité pour la junte, pourrait soit sceller une réconciliation tacite avec la population estudiantine, soit attiser les frustrations si les délais ou les spécifications techniques venaient à fléchir. Dans un Niger où 60 % de la population a moins de 25 ans, l’UAM se mue en laboratoire de l’avenir, un avenir où l’éducation se confronte à l’instabilité chronique.
Le savoir, antidote ou alibi ?
Si les chiffres 20 hectares, 2 400 lits, 5 000 places donnent le vertige, ils ne sauraient masquer les défis sous-jacents : maintenance des infrastructures, adéquation des formations aux besoins du marché, ou encore inclusion des femmes dans ces nouveaux espaces. Reste que ce chantier, à la fois héritage et pari sur l’avenir, illustre une vérité têtue : en Afrique, même les régimes éphémères savent parfois semer des graines dont ils ne récolteront pas les fruits.