Les rires remplissent de nouveau l’aire de jeux muette depuis cinq semaines. Malgré des réticences, la Norvège a commencé à rouvrir ses établissements pour les plus petits lundi, un timide semblant de retour à la normale face à l’épidémie de nouveau coronavirus.
Chaudement emmitouflés sous un soleil printanier trompeur, les bambins sont arrivés en bon ordre, et à l’horaire convenu d’avance, au portail d’Espira Grefsen Stasjon, un bâtiment moderne qui accueille quelque 150 enfants de 1 à 6 ans dans le nord d’Oslo.
Certains piaffent d’impatience, faisant de grands signes à leurs copains qui s’affairent déjà dans le bac à sable, d’autres s’agrippent un peu plus longuement à la main de leurs parents.
Dans la cour, des membres du personnel, nombreux, en chasubles jaune fluo, accueillent les enfants, l’entrée des bâtiments étant désormais interdite au public pour limiter les risques de contamination. Aucun masque à l’horizon.
« Il était si impatient qu’on a dû quitter la maison plus tôt pour venir ici et voir les autres enfants », raconte Silje Skifjell au sujet de son aîné, après avoir confié ses deux garçons, Isaak et Kasper, au personnel. « J’en ai presque pleuré. Il était tellement heureux de revoir ses copains ».
Avec l’Autriche, le Danemark et l’Allemagne, la Norvège est l’un des premiers pays européens à alléger ses restrictions, décrétées le 12 mars pour tenter d’enrayer la propagation du nouveau coronavirus.
Mission, semble-t-il, accomplie puisque l’épidémie est désormais jugée sous contrôle sur le sol norvégien. Lundi, 7.113 cas et 154 décès avaient été officiellement recensés pour une population de 5,4 millions d’habitants. Mais le nombre de nouvelles hospitalisations est nettement retombé ces derniers jours.
Sans oser crier victoire, le pays a enclenché un processus lent et progressif de normalisation. Après les « barnehager » – établissements qui englobent crèches et école maternelle en Norvège – cette semaine, ce seront les classes pour les 6-10 ans qui rouvriront leurs portes lundi prochain.
– ‘Roulette russe’ –
Cependant, malgré la confiance quasi-aveugle généralement accordée aux autorités en Scandinavie, tout le monde n’est pas convaincu.
Comme au Danemark qui a rouvert mercredi ses crèches, écoles maternelles et primaires, certains parents norvégiens ont lancé sur Facebook une campagne « Mon enfant ne doit pas être un lapin de laboratoire pour le Covid-19 », et une pétition en ligne a recueilli près de 30.000 signatures.
Selon un sondage publié par la télévision publique NRK ce week-end, 24% des parents ne souhaitent pas à ce stade renvoyer leurs enfants au « barnehage » et 13% se disent incertains.
« Roulette russe », « pari avec la vie des enfants »… Sur les réseaux sociaux, les mots sont parfois durs. « Je n’enverrai pas ma fille à la crèche avant d’être rassuré à 110% », affirme un père inquiet sur Facebook.
A Espira Grefsen Stasjon, les consignes des autorités sont soigneusement respectées. Les plus jeunes enfants, jusqu’à trois ans, sont rassemblés en groupes – des « cohortes » – de trois sous la responsabilité d’un adulte et les plus âgés, jusqu’à six ans, en groupes de six. Interdiction de se mélanger avec les autres.
Sur la gigantesque aire de jeux, un employé en gants de caoutchouc bleu désinfecte régulièrement les poignées de balançoires et toboggans.
« On a désinfecté la crèche et tout est extrêmement propre », assure la directrice, Tone Mila, elle aussi à l’accueil pour répondre, si besoin, aux questions des parents. « Maintenant, notre tâche la plus importante, c’est l’hygiène ».
Si cette réouverture est officiellement justifiée par des considérations sanitaires – les enfants paraissent largement épargnés par le nouveau Covid-19 -, elle a aussi l’avantage de faciliter le retour au travail des adultes qui, pendant plus d’un mois, ont dû plus qu’à l’ordinaire jongler entre activités professionnelles et responsabilités parentales.
« Ca a été un défi », témoigne Olav Kneppen après avoir confié son fils Oliver, 4 ans, au personnel d’Espira Grefsen Stasjon. « Ca a été plaisant de passer plus de temps que d’habitude avec lui mais, niveau boulot, ça a été un peu frustrant parce que je n’ai pas pu faire tout ce que je devais ».
Des appréhensions avant de confier de nouveau son fils à la collectivité? « A la maison, nous suivons les recommandations des autorités sanitaires. Alors, si elles recommandent ça, nous sommes confiants que c’est relativement sûr », dit-il. « Evidemment, on n’est pas en sécurité à 100% mais je suis d’accord pour dire que le moment était venu de le faire ».