Face au président sortant Faure Gnassingbé, dont la victoire pour un quatrième mandat samedi ne laisse guère de suspens, Jean-Pierre Fabre, candidat historique de l’opposition togolaise devra affronter un autre adversaire, l’ancien premier ministre Agbéyomé Kodjo, qui s’est révélé lors de cette campagne être un outsider crédible.
– Jean-Pierre Fabre –
Surnommé « le marcheur », Jean-Pierre Fabre a parcouru des kilomètres inlassablement, des années durant, pour manifester contre le président Faure Gnassingbé, dont la famille est au pouvoir depuis plus de 50 ans. Mais à 67 ans, le candidat historique de l’opposition peine désormais à rassembler et à se faire entendre.
Le chef de file de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) n’a guère de chance d’être élu face à un appareil d’Etat qui contrôle tous les rouages du pouvoir, mais son défi sera surtout de remporter plus de suffrages qu’en 2010 et 2015 (respectivement près de 34% et 35% des voix) et d’être le premier candidat de l’opposition.
Economiste de formation à la stature imposante, marié et père de trois enfants, M. Fabre s’est engagé en tant que défenseur des droits humains sous l’ère du général Gnassingbé Eyadéma, le père de l’actuel président, qui a dirigé le pays d’une main de fer pendant 38 ans jusqu’à sa mort en 2005.
En 1992, il rejoint Gilchrist Olympio, l’éternel opposant du vieux général Eyadéma et l’Union des forces de changement (UFC), dont il prend les rênes, avant de claquer la porte en 2010 et de fonder l’ANC.
Récemment élu maire d’une commune implantée au coeur de la capitale Lomé, il garde un fort soutien populaire dans le sud du pays dont il est originaire.
Sa « force », sa « détermination », mots qui reviennent sans cesse dans sa campagne, mais aussi l’énergie et le travail qu’il a déployés depuis ses débuts en politique forcent le respect, même au sein de ses détracteurs.
Toutefois, beaucoup lui reprochent de ne pas avoir su tirer partie des manifestations massives de 2017 et 2018, où des dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans les rues pour demander la démission de Faure Gnassingbé.
La C14, coalition des partis de l’opposition, fondée alors avec Tikpi Atchadam du Parti national panafricain (PNP), n’a pas survécu aux querelles intestines.
Après deux années de manifestations qui ont fait une vingtaine de morts et des dizaines d’arrestation, le pouvoir a finalement validé la réforme constitutionnelle permettant au chef de l’Etat de se représenter à un quatrième mandat en 2020, mais aussi à se représenter en 2025.
Face à cet échec, M. Atchadam s’est résolu au silence et à l’exil, et de nombreux partis ont quitté la coalition.
« Fabre pourrait déclencher l’alternance au Togo, s’il arrivait à tendre une main fraternelle à ses collègues de l’opposition, mais son caractère ne permet pas aux autres de l’approcher », assure l’un de ses rivaux. « Il a toujours pensé qu’il pouvait renverser seul le régime ».
– Agbéyomé Kodjo –
Ancien Premier ministre sous le règne du général Eyadéma, dont il était considéré comme « l’enfant chéri », Messan Agbéyomé Kodjo est cette année l’un des six candidats de l’opposition et a crée la surprise durant cette campagne.
Enregistrant un score insignifiant à la présidentielle de 2010 (0,9% des voix), Kodjo a fortement gagné en popularité ces deux derniers mois, grâce au soutien de Mgr Philippe Fanoko Kpodzro, archevêque émérite de Lomé, voix importante de la société civile togolaise qui n’a pas hésité à le désigner comme « le choix de Dieu ».
Quatre partis politiques membres de l’ancienne C14, dont la formation politique de la coordinatrice de cette coalition, Brigitte Adjamagbo-Johnson, l’ont également rejoint.
Ses proches louent la « rigueur » et le « pragmatisme » de l’homme politique qui a été président de l’Assemblée nationale (1999-2000) et a occupé plusieurs portefeuilles ministériels dans des gouvernements de Gnassingbé Eyadéma, avant d’être limogé en 2002, contraint à l’exil, puis incarcéré pendant quelques mois à son retour au Togo.
L’opposant a animé avec détermination le Collectif Sauvons le Togo (CST), un regroupement de partis d’opposition et d’organisations de la société civile, mais ses adversaires voient dans sa candidature une « stratégie » servant les intérêts du pouvoir.
« Avec une telle opération, il sera plus facile de dire que l’opposition a perdu parce qu’elle a éparpillé ses voix », selon Messan Lawson, opposant et éditorialiste togolais.