Quelques heures à peine après le crash du vol ET302 d’Ethiopian Airlines au sud-ouest d’Addis Abeba, le 10 mars 2019, des personnes en deuil ont afflué dans un bâtiment situé non loin de la piste où il avait pris son envol: le siège national de l’association des pilotes de ligne.
Par un jour normal, le site ressemble à un country club, avec ses membres jouant au tennis ou au basket tandis que des familles sont attablées en terrasse.
Mais le 10 mars 2019, alors que les détails de la tragédie commençaient à émerger, les responsables ont organisé une veillée funèbre impromptue dans le hall d’entrée, où des bougies et des fleurs sont venues progressivement entourer les portraits du capitaine et de son équipage.
Très vite, le lieu attira à la fois des employés d’Ethiopian Airlines qui, en pleurs, vinrent se recueillir pendant leur pause déjeuner mais aussi des citoyens lambdas sans lien direct avec le crash qui fit 157 morts.
« Cette semaine-là, il n’y avait plus aucune place de parking libre ici. Les gens venaient de tout Addis Abeba », se remémore Yeshiwas Fentahun, qui présidait alors l’association.
« Le fait que nous avions cette installation ici était très important, non seulement pour nous mais pour toute personne touchée par l’accident ».
Depuis, l’association a continué de jouer un rôle central dans le travail de deuil de ses quelque 800 membres.
Des pilotes sont ainsi venus sur place pour y trouver un soutien psychologique, organiser des collectes pour les familles des victimes ou encore rebaptiser le terrain de football du nom du capitaine du vol ET302 et grand amateur de ballon rond, Yared Getachew.
Ce type de réconfort sera très important pour les membres de l’association au moment de l’anniversaire du crash, qui va sûrement raviver les traumatismes de la tragédie, explique son ex-président.
« Oui, les gens vont de l’avant mais ce n’est pas toujours facile de passer à autre chose. Ce n’est pas quelque chose qui va forcément de soi », ajoute Yeshiwas.
– Soutien psychologique –
L’Association des pilotes de ligne d’Éthiopie fut fondée en 1964, presque 20 ans après le lancement d’Ethiopian Airlines.
Son siège a de tout temps offert un lieu de détente aux pilotes de retour d’un vol en provenance d’une des 120 destinations désormais desservies par la compagnie, la plus grande du continent avec plus de 110 appareils.
Le capitaine Yared du vol ET302 venait régulièrement les mardis et jeudis soir participer au matchs de football de l’association.
L’ancien président de l’association désormais responsable syndical au sein de la compagnie aérienne se souvient d’un Yared enjoué, qui n’hésitait pas à taquiner les autres joueurs dans un amharique approximatif, lui qui avait la double nationalité éthiopienne et kényane.
Mais l’association dépasse le cadre du simple club de loisirs. Quand un de ses membres tombe malade ou perd un proche, les autres mettent la main à la poche dans le cadre de collectes organisées par le « Comité humanitaire » de l’organisation.
C’est ce comité qui se chargea très rapidement de répertorier et localiser les familles des huit membres d’équipage du vol 302.
« Après que le gouvernement a informé ces gens de la mort (de leur proche), nous les avons contactés et avons entamé ce qui pouvait être fait pour soulager les préoccupations immédiates », explique Yegzeru Belete, qui a piloté pendant 40 ans des appareils d’Ethiopian Airlines avant de prendre sa retraite l’année dernière.
En quelques mois, l’association avait réuni 600.000 birr – plus de 18.000 dollars – pour chaque famille, une somme qui fut remise en mains propres, à Addis Abeba et, dans le cas du copilote Ahmednur Mohammed, à Dire Dawa, à environ 350 km à l’est de la capitale.
L’association a également organisé des sessions de soutien psychologique pour les pilotes, ce que la compagnie a négligé de faire selon Yeshiwas.
« J’aurais préféré qu’Ethiopian Airlines ait une approche plus volontariste pour apporter (…) un meilleur soutien à ses pilotes et membres d’équipage après le crash », déplore le responsable syndical. Mais « ça n’est pas arrivé ». Sollicitée, la compagnie n’a pas souhaité commenter.
– Tragiques réminiscences –
En apparence, la vie quotidienne au siège de l’association a repris son cours normal mais, de par son ampleur, la tragédie du vol ET302 n’est jamais bien loin dans l’esprit des pilotes.
Les articles de presse sur telle avancée de l’enquête, notamment sur le rôle joué par le logiciel anti-décrochage MCAS du Boeing 787 MAX, ou les spéculations sur la remise en service de cet appareil phare de l’avionneur américain, continuent de raviver de très douloureux souvenirs.
L’enquête menée par Ethiopian Airlines n’est pas encore terminée mais son responsable Amdye Ayalew a indiqué cette semaine à l’AFP qu’un rapport d’étape pourrait être divulgué juste avant le premier anniversaire du 10 mars.
Ces rappels permanents de l’accident rendent d’autant plus essentiel le soutien offert par l’association de pilotes à ses membres, selon Yeshiwas.
« Ce n’est pas une chose facile » de continuer de voler après un crash, souligne-t-il.
« Vous vous demandez sans cesse ce que les pilotes ont pu penser, quels ont été leurs sentiments juste avant le crash. Votre esprit n’arrête pas de poser ces questions ».