S’inquiéter du sida plutôt que du coronavirus: Le film d’un youtubeur russe a braqué les projecteurs sur le VIH afin de réveiller la jeune génération sur cette maladie qui ronge la Russie dans l’indifférence des autorités.
Avec sa vidéo « VIH en Russie, l’épidémie dont on ne parle pas », Iouri Doud, 33 ans, a rassemblé plus de 13 millions de vues sur YouTube en moins d’une semaine. Et il a fait réagir des responsables politiques d’ordinaire très discrets sur le sujet.
Star des réseaux sociaux très suivie par la jeunesse, Doud est d’abord connu pour ses interviews décontractées avec des politiques et des artistes de tous bords.
Il avait enregistré un premier grand succès l’année passée avec un film pédagogique sur l’histoire du goulag stalinien, thème largement passé sous silence en Russie. La vidéo affiche plus de 19,2 millions de vues sur YouTube.
Toujours dans cette logique éducative, Doud s’attaque cette fois-ci à un thème de santé public largement tabou, détaillant tous les aspects du VIH/sida : vie quotidienne des séropositifs, des modes de contamination, des thérapies, de la prévention.
« Les gens qui vivent avec le VIH en Russie sont tout le temps victimes de discrimination. On en a honte, on les fuit, on les dédaigne », regrette Iouri Doud dans sa vidéo.
– 103.000 infectés –
S’attaquant aux idées reçues en rappelant par exemple que les moustiques et les baisers ne présentent pas de risque, il appelle aussi chacun à se faire dépister, expliquant l’existence de tests salivaires en pharmacie.
En Russie, plus de 1,1 million de personnes vivent avec le VIH sur une population de 144,5 millions. Au moins 300.000 personnes sont mortes du sida depuis 1987 et le rythme de propagation de la maladie reste très élevé.
« Il y a eu 103.000 nouvelles infections en 2018, contre 6.200 en France. Et ces nouveaux cas sont le résultat d’un manque de prévention et d’information », explique Vadim Pokrovski, directeur du Centre fédéral de lutte contre le sida.
« On n’en fait pas assez. Et il ne faut pas seulement soigner les malades », relève aussi Vladimir Maïanovski, directeur d’une organisation de soutien aux séropositifs.
Sur les réseaux sociaux, les commentaires sont généralement laudateurs. « Où peut-on voter pour qu’on montre ce film à l’école ? », écrit Nadia Khiakli, dont la remarque a attiré 29.000 « likes » sur YouTube.
Autre effet, dans les jours ayant suivi la publication du film le 11 février, le nombre de recherches liées au sida en russe sur Google a bondi: pour les mots-clés « acheter test VIH » de 350%.
– « Mauvaise façon » –
Face à ce phénomène, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov a jugé que la vidéo « méritait que l’on s’y intéresse ». Le président de la Cour des comptes, Alexeï Koudrine, a promis d’évaluer l’efficacité de l’assistance aux malades.
Iouri Doud a aussi été invité au Parlement pour parler prévention et son film a été montré à la chambre basse, même si seuls quelques députés ont fait le déplacement.
Ces réactions sont d’autant plus inhabituelles que les politiques publiques en la matière ont été décriées par les experts.
« Dans la tête des gens qui prennent des décisions en Russie, le VIH c’est de toute façon les drogués et les gens qui vivent +de la mauvaise façon+ », regrette Igor Ptchelintsev, responsable de l’ONG de lutte contre le sida « Chagui ».
Depuis 2016, plusieurs ONG spécialisées dans la lutte contre le VIH ont été classées « agents de l’étranger », dénomination controversée qui gêne grandement leur travail et la récolte de fonds.
Sous Vladimir Poutine, proche de l’Eglise orthodoxe, les idées conservatrices ont été remises au goût du jour, si bien que des mesures de prévention efficaces n’ont pas été mises en oeuvre, qu’il s’agisse de toxicomanie ou de sexualité. Les campagnes d’information mettent en avant l’abstinence plus que le préservatif.
Un article du quotidien Vedomosti, titré « Doud à la place du ministère de la Santé », a jugé dès lors le blogueur « plus efficace » que l’Etat.
« De nouvelles personnes sont allées se faire dépister. Et il y a même un intérêt parmi les preneurs de décisions. C’est bien! », se réjouit le chercheur Vadim Pokrovski.